Aspects religieux des Anciens Latins, similaires aux Celtes

25/02/2024

Une religion cosmique au calendrier devenu symboliquement indépendant du cycle lunisolaire, indépendance symbolique reprise par tous les néopaïens qui se calent sur le calendrier civil (roue de l'année les 1ers et les 21) au tiers par ignorance, au tiers par praticité, au tiers par paresse - même quand ils détestent "Rome" (ou ce qu'ils croient devoir en penser aujourd'hui...)...

__________________
EXTRAITS :

"Pour donner à [l'opinion courante] une formulation quelque peu paradoxale, on pourrait dire, qu'à l'époque où les Romains avaient déjà leur propre religion, ils n'auraient pas encore eu une civilisation [avant l'/urbs/ et l'/imperium/], tandis qu'à l'époque du développement de leur civilisation, ils n'auraient plus eu leur propre religion [car ils auraient calqué les Hellènes]. Cela serait un cas de dissociation extrême, ce qui ne peut manquer de faire naître quelques doutes."
"Par les moyens d'une analyse comparative, on peut déceler dans n'importe quelle institution ou idée romaine les traces d'éléments qui ont des analogies surprenantes dans le milieu indo-iranien ou celto-germanique [indo-européens tous les deux], d'autres qui nous rappellent les civilisations pré-helléniques méditerranéennes [insistons sur le /pré-/], d'autres, enfin, qui semblent comme des copies de faits grecs archaïques [insistons sur le /archaïques/]. L'utilité d'un tel procédé analytique est toutefois subordonnée à deux exigences : premièrement qu'il ne soit pas unilatéral, c'est-à-dire que pour démontrer l'importance d'une source de traits héréditaires, il ne ferme pas les yeux en face des autres faits, comme cette personne qui dans un enfant admettrait seulement la ressemblance avec le père et nierait les traits maternels ; deuxièmement, que cette personne se rende compte de ses limites, c'est-à-dire du fait que même la totalité des éléments hérités scrupuleusement repérés et distingués les uns des autres ne pourra jamais épuiser le contenu du phénomène romain qui est toujours /plus/ qu'un simple agglomérat d'éléments."
"... le nouveau calendrier [de la réforme de Numa] est lunisolaire : l'ordre qu'il établit est fondé sur l'ordre /cosmique/. On pourrait dire qu'entre le calcul empirique du temps et le calendrier lunisolaire, il y a la même relation qu'entre les huttes parsemées sur le territoire de la future ville, et l'/urbs/ fondée sur des règles définies. Une partie des 45 fêtes indiquées dans le calendrier a un rapport bien clair avec les faits cosmiques qui, en cette phase de la religion romaine, occupent une place qui n'est pas inférieure à celle des grands faits de la vie humaine. Cet ordre cosmique est, par sa nature même, /éternel/, mais son éternité apparaît à l'homme comme un perpétuel renouvellement, une renaissance immanquable du sein de la non-existence : ceci est le contenu le plus intime des fêtes du solstice d'hiver [...] De cette espèce d'éternité, devient symbole naturel et parfait l'année elle-même, l'/annus vertens/, dont le dernier mois, février, est consacré aux morts, mais représente en même temps une condition de l'année renaissante [...]"
"... les fêtes de la pleine lune et de la nouvelle lune - si importantes dans les milieux primitifs - sont déplacées et fixées à des dates stables. En outre, en se dégageant de leur détermination phénoménique, elles s'adaptent à un ordre supérieur : respectivement fêtes de Iuno [Junon] et de Iuppiter [Jupiter], elles en viennent à encadrer les mois de l'année. Les deux divinités, tout en conservant leur rapport à l'obscurité et à la lumière, dépassent la sphère du pur phénomène naturel : en formant, dans leur rapport de corrélation, les deux pôles autour desquels tourne l'année entière, elles apparaissent comme garants suprêmes de l'ordre cosmique."

Source

Image : Jean-Pierre Dalbéra, maquette de la Rome archaïque (musée de la civilisation romaine, Rome)


Aux Origines des Romains : la culture latiale et les premiers Latins, peuple à marqueurs celte et germain - comme nombre de peuples de la péninsule italique

"Les Latins sont une population indo-européenne [...] Au début du IIe millénaire, il est probable que leurs ancêtres ont été en contact avec ceux des Germains. Les linguistes ont relevé entre le latin (l'italique) et le germanique commun reconstruit un certain nombre de particularités communes, qui sont pour la plupart des innovations. [...] les concordances observées dans le vocabulaire [...] de l'italique et d'autres langues du nord-ouest de l'Europe (germanique, celtique...) indiquent que les colons auxquels sont dues les langues italiques sont passés par l'Europe centrale et venaient du Nord. De même, plusieurs auteurs ont suggéré que la culture campaniforme d'Europe centrale et occidentale était une candidate pour une branche européenne ancestrale des dialectes indo-européens, appelée /indo-européenne du nord-ouest/, ancêtre des branches celtique, italique, germanique et balto-slave."
"Le nom des Latins vient du mot /latus : étendu, plat, plaine/ car leur terroir se trouve au débouché maritime de la vallée du Tibre. /Latin/ s'explique aussi par le celtique /lato/ signifiant /ardeur, fureur/ et par /lãtis, héros/. Les Ombriens qui précédaient les Étrusques et des peuples de la région italique qui deviendrait le Latium, étaient par ailleurs considérés par certains auteurs antiques - tels que Caton l'Ancien, Tite-Live et Plutarque - de même origine que les Celtes."
"Une étude génétique publiée en 2019 montre que quatre Latins sur les cinq échantillonnés présentent des variantes de R1b [dont ressortent aussi les Celtes]."
"L'évolution sémantique de certaines formes latines semble indiquer que les Latins ont vécu dans les cités lacustres sur pilotis (palafitte) de Terramare, culture archéologique de l'Âge du bronze moyen (1700-1150 av. J.-C.) de la vallée du Pô : /pagus, village/ [donnant notre actuel /paganisme, païen, paillard, paysan/ par futur dédain chrétien romain] apparenté à /palus, pieu/ mais aussi /pons, pont/, initialement /passage/ et /portus, port/ initialement /gué, vadere, passer à gué/ [...]"

Source

__________________

Ces cités lacustres viennent de la culture latiale :

"La culture latiale est une culture archéologique qui se développa à la fin de l'Âge du bronze et pendant l'Âge du fer sur le Latium, en Italie. Elle est associée à l'ethnogenèse du peuple proto-latin. [...] on considère qu'elle s'achève avec l'apparition dans l'histoire d'un État appelé /Latium vetus/, habité par un peuple de langue latine archaïque. La culture latiale coïncide plus ou moins avec la période légendaire des rois latins d'Albe la Longue [dont /alba, blanc/ signifie la même chose que le celtique /albio/] et les débuts de la monarchie de Rome."

Source

__________________

"Au VIIe siècle av. J.-C., une sorte de confédération à la fois religieuse et politique réunit environ trente cités et tribus latines : la ligue latine. Elle a pour but d'organiser une défense mutuelle contre les agressions extérieures."
"Les Latins semblent s'être culturellement différenciés des tribus environnantes italiques [...] à partir de 1000 avant J.-C. [mais on peut dire en quelques sortes, qu'ils ressortent des Albains et des Sabins, qui tous se combattirent en leurs temps, à la manière des relations entre clans celtes]." Sans parler des Etrusques, peuple non-indo-européen qui inspirera la Rome, et autres indo-européens Ligures, Samnites, Ombriens, et évidemment Hellènes au Sud de la péninsule, Hellènes qui influenceront la culture romaine ultérieure.
"Initialement les Latins sont surtout des éleveurs dont le patrimoine familial se mesure par le bétail : les chèvres, mais surtout les bœufs, les moutons, et les cochons. Le sacrifice /suouetaurilia/ prouve le rôle primordial du bétail dans la mentalité romaine qui désigne par ailleurs les biens de valeur du terme de /pecunia, avoir en bétail, fortune qui résulte du bétail/ dérivé de /pecus, le troupeau, le bétail/ terme et acception qui ont survécu jusque dans le français moderne dans des mots comme /pécuniaire, pécule/. Notons que /pecus/ vient de l'indo-européen /*peku-, richesse mobilière personnelle/ et que la monnaie archaïque romaine, encore utilisée à la fin du IVe siècle avant J.-C., porte l'image d'un bœuf et non d'une louve (légende de Romulus et Rémus sur la fondation de Rome) comme l'on s'y attendrait."

Or justement, pour les Celtes aussi, le bétail était de grande importance... encore en Irlande féodale, avec la fameuse /Razzia des vaches de Cooley/. Ce qui démontre, par ailleurs, la proximité culturelle du monde européen ancien avec les Phéniciens, les Puniques et les Ibères [Ibères qui influencèrent jusqu'à l'Aquitaine, en longeant l'Ebre et la Garonne, puisque le bétail a toujours été source de richesse pour eux aussi... une chose somme toute logique, en ce temps-là].

Source

Image : lac d'Albe la Longue aujourd'hui - en latin, Alba Longa

Brigantia-Brigit (Celtes) et Frigg (Danes)... voici leur équivalent étrusco-romaine

« [Georges Dumézil] a choisi, parmi les déesses latines qu'il avait confrontées avec les mythes védiques, l'exemple de Mater Matuta. On sait que le 11 juin, fête des Matrialia, les dames romaines procèdent à une liturgie particulière : 1) elles introduisent dans le temple de Mater Matuta exceptionnellement une enclave, quitte à la chasser ensuite à coups de verge ; 2) elles choyent dans leurs bras non pas leurs propres enfants, mais les enfants de leurs sœurs. Ces gestes étranges, qui ne comportent aucune explication dans le seul contexte romain, s'éclairent en revanche par une confrontation avec la mythologie védique. Ici, la déesse Aurore, Usas, fait chaque matin ce que font, une fois l'an, aux Matrialia, les femmes romaines : elle "refoule la ténèbre de la nuit" (qui est représentée par une enclave dans le rite romain) : une fois le monde libéré des ténèbres, l'Aurore apporte le Soleil, lequel est fils de sa sœur, la Nuit (c'est la version logique de l'Inde, que Rome a retenue de préférence à la variante qui fait parfois de l'Aurore et de la Nuit les deux mères communes du Soleil). Tel est le schème, réduit à l'essentiel, d'une liturgie qui ne devient compréhensible que par le retour aux sources védiques : les exégètes, anciens et modernes, qui s'étaient efforcés d'expliquer ces rites en dehors de cette confrontation, n'avaient abouti qu'à... obscurcir l'identité de Mater Matuta, qui pourtant, par son étymologie, ne saurait être que la "divinité du point du jour". Cette démonstration, qui restitue sa signification à la fête de l'Aurore, prend encore plus de relief, si on se rappelle ce que cette fête, fixée au 11 juin, est exactement symétrique de la fête du "Soleil ancêtre" du 11 décembre. Cette symétrie avait été signalée par Carl Koch, mais Georges Dumézil complète ce diptyque en restituant, au cours d'une démonstration aussi pertinente, son office astral à Angerona, la déesse invoquée lors du raccourcissement des jours de décembre (dies angusti) : ainsi la fête de l'Aurore du 11 juin, proche du solstice d'été, équilibre la fête d'Angerona du 21 décembre, au solstice d'hiver. »
« [Tout ceci] correspond à une structure conceptuelle que Georges Dumézil a appelée "l'idéologue des trois fonctions" et qui se retrouve "avec des particularités propres à chacune des sociétés, aussi bien chez les Indiens que chez les Iraniens que chez les anciens Germano-Scandinaves, avec des altérations plus fortes chez les Celtes [à cause des cultures atlantiques influencées par les Phéniciens, dont les Ibères furent une persistance] et aussi... malgré la précoce refonte des traditions, chez les Hellènes [influencés par les Phéniciens aussi, ainsi que le monde originaire influençant lui-même les Phéniciens, mésopotamien]." »

Source


Image Wikipédia : la Mater Matuta étrusque, dans son espace scénographié du musée civique de Chianciano Terme.