Comment les Celtes computaient-ils donc l'année ?

01/11/2025

Article initialement paru sous NMP

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Un calendrier archéohistorique aux mois lunaires

Le comput de Coligny est un calendrier celte, lunaire, de 12 mois nommés : 1. samonios (« fin de l'été »), 2. dumannios (« brouillard »), 3. riuros (« gelées »), 4. anagantios (« protection »), 5. ogronios (« frimas »), 6. cutios (« atténuation »), 7. giamonios (« fin de l'hiver »), 8. simi-visonnios (« mi-printemps »), 9. equos (« cheval »), 10. elembivios (« cerf »), 11. aedrinios (« ardeur »), 12. cantlos (« hymne »).

Or, comme on s'en doute, les mois lunaires – ou lunaisons – ne sont pas calés sur le cycle solaire : cela crée progressivement des décalages saisonniers. Pour éviter cela, il faut comprendre la notion de « lustres » : nous utilisons l'expression « ça fait des lustres ! » pour dire « ça fait un bail ! » ; en fait, le lustre celte durait cinq ans, et le siècle celte durait six lustres (six fois cinq, trente ans).

D'un lustre l'autre

Mais restons-en au lustre : entre le lustre précédent et le nouveau lustre, les Celtes inséraient le mois/la lunaison de quimon (« ajustement ») entre 12. cantlos (« hymne ») et 1. samonios (« fin de l'été ») : on avait donc un 13|0. quimon (« ajustement ») ; et la troisième année du lustre, ils inséraient le mois/lunaison de ciallos (« retournement ») entre 6. cutios (« atténuation ») et 7. giamonios (« fin de l'hiver ») : on avait donc un 6,5. ciallos (« retournement »).

Tout ceci n'aide pas à repérer les solstices ni les équinoxes, même si on suppose qu'ils furent fêtés ; de toute évidence, la fameuse « roue de l'année » néodruidique franc-maçonne et wiccanne (Gerald Gardner, fondateur de la wicca, était au Druid Order début XXe, ordre initié par John Toland en 1717)… cette fameuse « roue de l'année », disais-je, est calée sur un calendrier julien (romain)+grégorien (chrétien)+civil (actuel) « pratico-pratique sans prise de tête ». D'ailleurs, la plupart du temps, les gens ne savent même pas, qu'il y avait là « une tête à se prendre » ! Sans compter que, chez les Danes*, on n'est même pas sûr que les solstices et équinoxes furent fêtés… Donc les gens vont au plus simple, pas forcément par simplisme, mais par sentiment d'évidence, sur-médiatisé.

Source de l'image : la roue de l'année, une invention moderne,
confondant fêtes celtes et danes*, après les avoir
fixées sur notre calendrier solaire, sans lien avec
leurs lunaisons d'origines respectives.
Ce n'est donc pas ainsi, que les Antiques Celtes
computaient, même s'il y a de l'idée
(et beaucoup de lacunes).

Les chrétiens celtiques médiévaux, se calèrent sur le calendrier solaire

Ajoutons à cela que, côté celte, le Devenir-médiéval fixa, par moyenne légitime, la date de Samain au 1er novembre – Imbolc au 1er février, Beltaine au 1er mai, Lugnasad au 1er août : fêtes toutes calées sur la lune et non le mois solaire bloqué, – et tous les ingrédients sont réunis, pour qu'on estime, en toute légitimité évolutive, que ledit calendrier julien (romain)+grégorien (chrétien)+civil (actuel), vaut mieux pour tout le monde. C'est la simplicité, pour se coordonner tous, alors que quasiment personne ne connaît le comput celte de Coligny en question.

Un comput « qui nous réfute », dans la mesure où il ne bloque rien et épouse le cours de la lune comme des saisons, bien plus harmonisé sur les cycles naturels, oscillant par vagues à travers le temps, et tolérant que nous ne maîtrisions pas les astres, sans « fair' blocus » à l'Être, c'est-à-dire sans l'enfermer dans le quadrillage abstrait des mois solaires et leurs semaines serrées (les Celtes comptaient les lunaisons par deux quinzaines, dont la dernière était parfois plus courte d'un jour encore, comme varient d'ailleurs les mois solaires conventionnellement, néanmoins, aussi, mais sans plus d'impact).

De nos jours : chassés-croisés velléitaires

La dernière question, qui vous mettra le ravioli en ébullition, est celle de savoir quand, aujourd'hui, originer le comput celte ? Car l'Histoire celte ne nous a pas légué « d'instant zéro », de même que nous croyons que notre « instant zéro » serait calé sur la naissance d'un certain Crucifié de grand chemin.

À ce jeu-là, Keltia magazine répond : voilà 4599 ans ! Et ses défenseurs de s'enjailler, de franchir l'année prochaine un nouveau siècle (année 4600, au 1er novembre 2026). Cette origine, croit ressaisir selon nos connaissances actuelles, l'émergence des Celtes par nos contrées. Mais, militante, elle compte au plus large des suppositions heuristiques : la date du « premier novembre -2574/-2573 avant le Crucifé » a l'orgueil de poser, que les Proto-Celtes émergèrent à cette époque, et sur l'Arc Atlantique pour être précis : de quoi valoriser la Bretagne. Keltia magazine accepte l'année solaire julienne (romaine)+grégorienne (chrétienne)+civile (actuelle) advenue durant la Féodalité, aux premiers des mois de novembre pour Samain, etc.

L'ordre druidique contemporain de la Kredenn Geltiek Hollvedell (en breton : Croyance Celtique Plénière), quant à lui, valorise aussi la Bretagne, à n'en point douter, à partir des mêmes suppositions heuristiques. Néanmoins, il compte bel et bien en année celte de Coligny malgré l'époque médiévale devenue solaire, et s'est calé sur l'année 3896, avec donc un calendrier originé au premier du mois de samonios (« fin de l'été ») de notre année « -1870/-1871 avant le Crucifié ». C'est que les Annales des Quatre Maîtres y situent la victoire des Dieux & Déesses celtes contre les Fomoires, équivalents – en plus démoniques, a priori – des Titans hellènes ou des Géants danes*.

Après la Kredenn Geltiek Hollvedel, vous avez un mouvement druidique qui se prétend « orthodoxe » (on se demande sur la base de quelle assurance archéohistorique !) qui milita longtemps pour l'harmonisation de tous les druidismes contemporains, sur le comput de Coligny. Ce mouvement aussi, jouant un psychodrame schismatique avec les autres druidismes (comme les chrétiens catholiques ont eu leur schisme orthodoxe…) se fonde sur ladite victoire des Dieux & Déesses sur les Fomoires : normal, il déserta de la Kredenn Getliek Hollvedell ! Seulement, par on ne sait quel mystère, il se compte en 3898, deux ans après 3896 ! Les schismes donnent-ils de l'avance ? C'est ce qu'ont pensés les chrétiens schismatiques orthodoxes devant les catholiques, probablement, dans l'Histoire. L'idée était de rejeter tout pape, même si les grands druides de la Gorsedd de Bretagne ne se sont jamais senti grands pontifes des Gaules : bref, psychodramatique – donc.

Sans oublier, ceux qui prétendent que Samain a lieu vers avril-mai, et non octobre-novembre ! Ils sont fous ces celtisants !

Pis-aller

Restent ainsi les masses plus ou moins « païennes** » (polythéistes|animistes & sorciers) contemporaines, qui ne se posent résolument pas la question de l'origine : après tout, les sciences nous enseignent qu'il est difficile de les déterminer ; or, quand elles en déterminent, c'est aussitôt pour évoquer des confluences impures, socioculturellement parlant. C'est certain. Et pourtant, « païens** » contemporains et scientifiques, s'en remettent tous ensemble, et par convention, à la supposée naissance du Crucifié : c'est un choix passif, par défaut et par simplisme. La question de l'origine « prend trop la tête », car elle implique des combats intellectuels et socioculturels, or nos contemporains réprouvent les combats, en plus de ne pas prendre le temps de se pencher sur cette intellectualisation : chacun ses priorités !

D'ailleurs, on en revient à la posture de Keltia magazine, puisque le Devenir médiéval fixa les dates aux premiers de quatre mois solaires : ça semble une évidence. Mais, au fond, c'est aussi la faute des défenseurs du comput de Coligny : ils ne sont pas harmonisés eux-mêmes ! et ils ne proposent pas un site de référence druidique contemporain pour aider le tout-public à s'y retrouver. Quant à moi, je reviendrai en… fin 2026/4600/3897/3899, pour préciser les choses, si possible.

Cette possibilité, évidemment, fait bien rire dans tous les milieux : chez les non-« païens** », qui méprisent ces démarches pour – au mieux – des jeux de l'esprit… chez les « païens** » eux-mêmes, comme on a vu… et chez les druidisants ! qui savent bien que le combat socioculturel pour « l'instant zéro » et l'année lunaire ou solaire, n'est de loin pas déterminé entre eux.

Ajoutez à cela tous les demi-savants, qui vous assurent dans le blanc des yeux, que les Trinoxtion Samoni (Trois Nuits de Samain, attestées sur le comput de Coligny) sont le Nouvel An celtique et ont toujours été célébrées du 31 octobre au 2 novembre depuis la Nuit des Temps, et vous voilà bien marris !

À lire aussi : Non, Samain n'est pas le « Nouvel An celtique » – et bonnes Trois Nuits à vous !

Segodanios

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* Danes : Germano-Scandinaves.

** Païen, paganisme : du latin paganus, pour rustre, du pays. C'est le regard romain vaticanais sur les contrées environnantes, méprisant les anciennes coutumes polythéistes/animistes. Anachroniquement, mais non sans pertinence, il s'agît bien d'un colonialisme spirituel du monothéisme, de même qu'aujourd'hui, l'islamisme militant voire criminel.
Mais, lors de la colonisation, on n'a pas redit « païen » : les naturalistes ont parlé de chamanisme, de totémisme, de fétichisme, d'animisme, de polythéisme, etc. Or, de fait, tout se résume à l'animation du monde – à l'animisme – parfois représenté dans des fétiches, totems et autres effigies, sans idôlatrie. L'animisme contient des Dieux & Déesses : il est polythéiste ; le polythéisme contient des esprits divers : il est animiste.
Ce qui les rassemble devant les monothéismes, c'est le culte des Ancêtres, le culte des Dieux locaux (esprits, génies, petits peuples, etc.) et le culte des Hauts Dieux (groupaux). Peut-être faudrait-il juste parler d'animisme, ou bien de vitalisme spirituel, ou encore de « spirithéisme » ? Au fond, cette diversité est caractéristique de ce dont on parle.