Dusios, le faune celtique

07/09/2025

Augustin d'Hippone est né à Thagaste, en 354, dans le Royaume berbère de Numidie.
Il est mort à Hippone, en 430, alors ville de l'Empire romain – Empire sur le déclin...
(Les deux villes sont aujourd'hui algériennes : Souk Ahras et Annaba.)

Bon.

Augustin d'Hippone fut ce qu'on qualifierait aujourd'hui de loubard...
... avant de finir évêque chrétien d'Hippone...
... et de devenir pour l'Eglise "saint Augustin", ni plus ni moins qu'un des quatre patriarches...
... et de nos jours, le nouveau pape Léon XIV est d'ailleurs issu de l'Ordre des Augustiniens, initialement Ordre des Ermites de Saint-Augustin né au XIIIe siècle.

Pourquoi un tel laïus ?

Parce que, pour la religion celtique, le loulou est intéressant.
Voyons comment.

Dans De Civitate Dei XV-23 (la Cité de Dieu) Augustin écrit :

Quant aux incubes [démon forniquant avec les femmes la nuit], que le vulgaire appelle dusii, ils se livrent sans cesse et impudemment à de tels actes, et on raconte qu'ils se sont unis à de nombreuses femmes, qu'ils les ont même rendues enceintes – c'est ce que nous avons entendu. Incvbi avtem, qvos vvlgo dvsios vocant, adsidve se ista et impvdenter ingervnt, mvltisque etiam feminis se copvlasse perhibentvr, easque gravidas reddidisse ista avdivimvs.

Outre le mépris de classe dont fit toujours preuve le christianisme, à se considérer supérieur parce qu'international...
... il se trouve que le nom de dusii (sing. latin dusius)...
... eh bien...
... il se trouve que ce nom se retrouve, au plan archéologique, à des centaines voire des milliers de kilomètres au Nord, outre-Méditerranée.

Encore au VIIe siècle du Crucifié, Isidore de Séville (un évêque) écrit :

Les Gaulois appellent dusii les esprits qui tourmentent les femmes par la luxure... Dvsii Galli vocant spiritvs, qui mvlieres in stvpris vexant...

En effet, on lit à Augusta Treverorum (actuelle Trèves) en Gaule belgique :

À la divinité Dusio, [un fidèle] a accompli son vœu de bon gré et à juste titre. Dvsio Deo votvm solvit libens merito.

Ou bien à Nida (près de Francfort) en Germanie supérieure :

Au saint Dusios... Dvsione sancto...

On rapproche dus- de la racine indo-européenne dheu- ou dhus- désignant le souffle, l'esprit, le mouvement (racine souvent employée pour former des noms d'entités démoniaques ou divines).
Une autre piste propose un lien avec le proto-celtique duskos (obscur, noir, crépusculaire) d'où un sens symbolique lié à l'ombre, au monde nocturne ou liminal.
Voici alors : *dus, mauvais tournant au fantôme, à la folie, voire la furie, semblent un peu loin des dédicaces à une entité bienfaisante...
... à moins qu'on ne retrouve ainsi l'ambivalence décrite dans le légendaire populaire, qui se révèlerait, de fait, un excellent conservatoire de mémoire – une fois de plus.

Il faut évidemment prendre du recul par rapport aux appréciations de "saint" Augustin, dont on pourrait dire que parlant des Dusii, qui forniquent, etc. il fit surtout un auto-portrait de sa jeunesse !

Dans la recherche, le gaulois Dusios est parfois apparenté aux figures panthéistes rustiques comme les satyrs, les faunes, ou encore les sylvains.

On lit ainsi à Autun, en Gaule lyonnaise :

A Silvanus domestique, Titus Saturninus a voué [ceci] pour sa propre santé. Silvano domestico pro salvte sva Titvs Satvrninvs vovit.

Et encore aux premiers siècles du Crucifié, à Sens, Lyon, Saintes ou Nîmes, toutes ces statuettes et ex-voto priapiques et ithyphalliques, qualifiés d'apotropaïques (détournant le mauvais sort) ou fertilitaires...

Enfin, si Cernunnos n'est pas explicitement ithyphallique ni sexuel au sens strict, certains reliefs locaux le montrent associé à des animaux en rut ou à des motifs de fécondité : on y voit parfois une figure syncrétique complexe, où Dusios aurait été l'un des aspects populaires ou spécialisés (lubricité), faune de la suite de Cernunnos...

En Galice féodale et moderne toujours : el duende, et en Bretagne idoine : teuz – sur ladite racine indo-européenne dheu-dhus, – représentants du "petit peuple" comme les fées* : régulièrement infantilisés par le christianisme.
Néanmoins, dans les légendes bretonnes, le teuz intervient comme un bon génie, qui aime la compagnie des femmes, qui assure la prospérité de la ferme, pour peu qu'on lui montre du respect...
... mais qui peut provoquer toutes sortes de problèmes si ce n'est pas le cas !
En quoi on peut le comparer au Servan des Alpes, que l'on s'accorde à considérer issu de Sylvanus, donc très proche.

Dignes des nains, lutins et autres farfadets, leur dynamique cachée (noire, obscure, crépusculaire) et éphémère (souffle, esprit, mouvement)...
... ils font, selon une autre étymologie mais de même fonction, songer au Dieu dane** Loptr : Dieu du vent, farceur, futur Loki à l'époque viking contemporaine de la chrétienté – qui l'a sûrement diabolisé...
Et, bien que ce ne soit pas antique, les Modernes pourraient bien y trouver un archétype du logos spermatikos, verbe inséminateur...
... tant le symbole phallique est refoulé.

C'est ainsi que, au prisme de l'Hispanie romaine***, féodalisée par les Danes**, enfin chrétienne, ledit Augustin d'Hippone, descendant punique de cette dernière époque, s'est encore fait l'écho de Dusios...
... et des craintes qu'il suscite dans cette religion pudibonde, pour ne pas dire anti-sensuelle ni anti-naturelle, et certainement anti-hédoniste.

Dusios doit donc figurer dans les études et dans certaines invocations des Druides d'aujourd'hui.

Invoquons donc son arc spirituel : AIU DUSII

Segodanios & Belenogenos

______________
* Attention : les Fomoires sont qualifiés de fées, dans le Lebor Gabala Erenn, Livre des Conquêtes d'Irlande. Les fées peuvent donc être de sacrées monstres...
** Dane : germano-scandinave.
*** Ancienne Ibérie, interface entre l'Afrique du Nord et l'Europe, avec les Puniques/Carthaginois.