Fils de poésie

Je suis enfant de poésie, fils du Verbe et de l'instant,
Né d'un silence en agonie, d'un mot vibrant dans le néant.
Je marche au bord des nuits fleuries, les pieds trempés dans l'imprévu,
Et chaque étoile me décrit ce que les sages n'ont jamais vu.
Je suis né d'une flamme ancienne, cachée dans l'encre des hivers,
Là où les âmes souveraines dialoguent avec l'univers.
Je suis la voix qu'on n'entend guère, mais qui résonne au cœur du vent,
L'écho d'un monde en marge austère, dont le chant reste vivant.
Je suis l'enfant des métaphores, des alliances inespérées,
Je vis là où les corps se tordent, mais où les âmes sont sacrées.
Je fais de l'ombre une lumière, d'un cri brisé un chant nouveau,
Et sous mes pas, la terre entière se change en vaste carnet d'eau.
Je suis enfant de l'invisible, là où la rime ouvre des cieux,
Je tends les bras à l'impossible, j'embrasse les silences vieux.
Je parle aux pierres, aux arbres morts, aux vieux chagrins qui ne disent rien,
Et tout ce qui respire encore devient poème entre mes mains.
Je suis tissé de vents contraires, d'ancêtres et d'histoires perdues,
Chaque douleur m'est salutaire, chaque absence est une avenue.
Je suis l'éclat dans la poussière, le rêve aux portes de l'exil,
Le feu qui danse en solitaire, mais dont le souffle est indocile.
Je suis né d'un mot qu'on ignore, d'un vers tombé dans un oubli,
Mais que le temps ramène encore, quand tout s'effondre et se replie.
Je suis le fils d'aucune race, mais frère de tous les cœurs ouverts,
Un pèlerin sans cuirasse, traversant l'aube à découvert.
Je suis enfant de poésie, messager d'une voix divine,
Celle qu'on entend dans la nuit, quand la douleur devient plus fine.
Et si mon pas n'est pas précis, s'il tremble au bord de l'infini,
C'est que je porte, même meurtri, les cieux entiers dans mes écrits.
Je suis enfant de poésie, né du silence et de la braise,
Je marche avec les mots pour lit, l'âme tendue comme une glaise.
Quand les tambours battent la guerre, j'entends les larmes sous l'acier,
Et je décris l'enfer en chair, sans qu'un seul cri soit oublié.
Je fais parler la tristesse nue, celle qui boit dans les regards,
Et qui se glisse, inconnue, dans les soupirs des boulevards.
Je la transpose en voix céleste, je l'élève, je l'humanise,
Et chaque larme que je reste devient rosée, devient devise.
Je suis rieur quand vient l'envie, et j'amuse les cœurs trop lourds,
Je fais danser l'ironie, les clowns, les rois, les mauvais jours.
Je fais parler un vieux cerf roux, qui a vu l'homme et ses mirages,
Je rends au merle, faible et fou, la dignité de son plumage.
Je fais parler les animaux, leur plainte devient parabole,
Et leur silence, sans un mot, pèse plus lourd qu'un chant d'école.
Je chante les héros tombés, dans la lumière ou la poussière,
Je leur bâtis des vérités, des temples faits de vers de pierre.
Mais je célèbre aussi les vivants, ces braves dans l'ombre discrète,
Ceux qui avancent, résistants, sans médaille ni trompette.
Je dis leur nom quand tout se tait, je grave leur geste en mémoire,
Car la grandeur n'attend jamais qu'on l'habille de victoire.
Je parle aux sages dans la tombe, aux âmes nobles et discrètes,
Je rappelle que leur Verbe tombe dans mes mains comme une comète.
Ils sont partis, mais leur pensée circule en moi comme un feu clair,
Et leur savoir redevient clé, quand je le sème dans la chair.
Car je suis l'enfant du Verbe, du vivant et de ses reflets,
Je fais surgir l'espoir superbe dans le désert de vos regrets.
La poésie n'est pas un jeu, elle est sang, feu, chair et lumière.
Elle fait vivre ce qui fut, et ce qui vient, elle éclaire.
Je suis l'enfant de la Parole, celle qu'aucun trône ne muselle,
Le souffle ancien qui décolle quand l'univers vacille et chancelle.
Tant qu'un regard cherche une étoile, tant qu'un cœur bat pour l'émerveillement,
Je marcherai, hors des murailles, messager de l'enchantement,
Le Verbe en marche contre le vent.
Ce qui est merveilleux avec la poésie, c'est qu'elle porte le premier langage : le son. Le son pur, le souffle originel, celui qui précède les mots, celui qui jaillit de l'Incréé. Cette source cachée de toute création. En poésie, ce son devient chair, rythme, vibration du monde.
L'étymologie du mot « poésie » est déjà une interprétation du fait poétique : poiêsis pour les Grecs signifie « création », du verbe poiein (« faire », « créer »).
Elle ne se contente pas de dire, elle fait exister. Elle donne forme et voix à ce qui n'en a pas : la peine, la colère, l'humour, la joie. Elle insuffle une âme au silence, elle modèle un animal d'un mot, elle trace un sentier d'étoiles dans l'invisible.
Par elle, on voyage. D'un souffle, on franchit les mondes. D'un vers, on traverse les âges. Le poète n'est pas un faiseur de rimes : il est un marcheur d'abîmes, un arpenteur des mondes. Le barde, ce n'est pas trois vers qu'on encadre, c'est un souffle vivant qui passe et qui s'inspire des mondes pour les redonner à ceux qui ont oublié comment écouter. La poésie n'explique pas, elle révèle. Elle n'enseigne pas, elle réveille. Et c'est cela son pouvoir : faire entendre l'inaudible.
Ce n'est pas un faiseur de vers,c'est un pont vivant entre les mondes, un témoin des Dieux, un gardien de mémoire,et un passeur de lumière.
Réduire un Barde à quelques vers,c'est vouloir enfermer un océan dans une coupe. Il est la voix des hommes,et celui qui l'écoute vraiment n'entend pas un homme,mais l'écho même de la création.
/I\
Gwengarv (Uindocaruos)