Le Merle sans plume

Je fus jadis un prince des airs,
Chantant l'aurore aux champs dorés,
Mais j'ai perdu mes noirs éclairs,
Mes ailes fuient, mes jours sont frêles.
Le ciel m'a banni, lourd, sans foi,
Je rase à peine les trottoirs,
Et ceux qui passent rient de moi,
Oiseau déchu, sans chant, sans gloire.
Mais sur le pavé froid du monde,
Je vis un corps tombé aussi.
Ses bras tremblaient, sa voix profonde
Parlait au vide, aux jours transis.
Elle n'avait ni pain ni nom,
Le cœur éteint, l'esprit qui gronde,
Son souffle était une chanson
Qu'étranglent parfois des secondes.
Elle ne m'a pas pris en pitié,
Elle m'a vu moi tout entier.
Son regard sans colère ou chaînes
Avait la douceur de la peine.
J'ai lu dans ses yeux le miroir
De mon exil, de mes blessures,
Elle tombe, elle aussi, sans savoir,
Mais se relève, tendre et si pure.
Je n'ai plus l'aile, elle n'a plus
De toit, d'appui, de main tendue.
Pourtant ensemble, presque élus,
On brave l'ombre qui nous tue.
Je ne vole plus, mais je veille,
Je niche au bord de son chagrin,
Et dans son âme en funambelle
Je sens frémir un doux matin.
Ce que j'ai vu ? L'éclat, le vrai
L'amour sans force, l'âme sans chaînes,
La dignité d'un pas brisé
Qui marche encore quand tout le gêne.
Je suis son merle, elle ma sœur,
Mon chant se pose en sa douleur.
Et si le ciel ne veut plus d'ailes,
Je vis à terre, mais je suis elle.
Elle m'a tendu sa main frêle,
Sans peur de ma forme rebelle.
Pas un soupir, pas un regret,
Juste un "viens", doux et discret.
Alors, humains trop bien pressés,
Laissez-moi vous confesser
La dignité ne brille pas fort,
Elle se cache dans les décors.
Elle vit dans une paume usée,
Dans un silence apprivoisé,
Dans un regard que la douleur
N'a pas rendu sec ou moqueur.
Je suis un merle, rien de plus,
Mais j'ai perdu, j'ai vu, j'ai su.
Et j'ose dire, du fond du sol
Vous qui passez, qui est l'épaule ?
Celui qui donne sans savoir
Si l'on rendra un peu d'espoir.
Celui qui voit, qui tend, qui reste,
Même si le monde le conteste.
Je suis le merle, j'enseigne bas.
Pas dans les livres, ni sous les toits.
Mais dans le cœur de ceux qui osent
S'arrêter quand tout s'effiloche.
Alors, à vous, passants distraits,
Ma leçon tient d'un secret
Les ailes tombent, mais l'âme vole
Quand elle choisit d'être parole.
/I\ Uindocaruos
Dans une ville, j'ai croisé le chemin d'une personne sans domicile fixe. Dans sa main, elle ne tenait ni un chien ni un pigeon comme on le voit si souvent malheureusement mais un merle.
Un merle malade, à la tête déplumée, fragile et silencieux. Ce simple détail, déjà, n'était pas banal.
Cette femme, âgée de 36 ans, dormait dehors. Je me suis arrêté, je lui ai posé quelques questions, tenté de comprendre, puis de l'aider un peu, à ma mesure. Elle m'a confié qu'elle souffrait d'une maladie neurologique et d'épilepsie. Et ce merle, fidèle malgré la maladie, ne la quittait jamais.
Ce moment m'a bouleversé. Surtout lorsqu'on connaît la symbolique du merle dans le Druidisme…
Au-delà de l'aide matérielle, c'est une profonde leçon d'humanité. Ce merle, malade mais fidèle, cette femme, elle aussi marquée par la maladie, mais pleinement vivante… Une scène à la fois bouleversante et lumineuse, à la croisée de l'augure et de l'enseignement.
Illustration : Rose la lune.