Non, Samain n’est pas « le Nouvel An celtique » – et joyeuses Trois Nuits à tous !

15/10/2025

« Les Celtes faisaient démarrer l'année à l'automne ; Samain célébrait leur Nouvel An » : nous devons cette fausseté néopaïenne, non pas à un(e) allumé(e) quelconque... mais aux éminents celtologues français Christian-Joseph Guyonvarc'h et Françoise Le Roux (les Druides, éd. Ouest-France, pp.249-258).

Source de l'image : Samonios 2019,
chez les reconstituteurs historiques de Randa Ardesca

Une fausseté

Pourtant, Françoise Le Roux, élève de Georges Dumézil, avait déjà traité du calendrier de Coligny en 1957. Christian-Joseph Guyonvarc'h lui-même, avec elle (dans l'ouvrage mentionné, pp. 350-351) assène : « La conception du temps nous est accessible par la principale fête calendaire, Samain, le premier novembre, dont le nom se retrouve sous la forme plus ancienne Samonios dans le calendrier de Coligny. Fin et début de l'année, n'appartenant pas à celle qui se termine et pas d'avantage à celle qui commence, fin de la saison clair et commencement de la saison sombre, Samain est en dehors du temps. »

On a du mal à comprendre, comment ils purent asséner des choses pareilles, alors qu'ils savaient que le calendrier de Coligny – seul calendrier gaulois/celtique ancien qu'il nous reste, pour ainsi dire – est luni-solaire, et que les Trois Nuits de Samain (Trinoxtion Samoni) sont indiquées à partir du dix-septième jour du premier mois de Samonios.

En clair : non seulement Samain ne tombe pas régulièrement au 1er Novembre d'une année l'autre, mais en plus les Trois Nuits de Samain n'échappent pas à l'année celtique, prétendument hors-temps. Non, au contraire, la Samain intervient dix-sept jours après le Nouvel An celtique... dont la date varie, eu égard au calendrier solaire grégorien que nous utilisons*.

Druidisme contemporain

Les druides contemporains, à commencer par ceux – bretons – de la Kredenn Geltiek Hollvedel, nous situent en 3896 du calendrier gaulois. Ils n'ont pas choisi « l'instant zéro » au hasard, puisqu'ils se sont inspirés des Annales des Quatre Maîtres, recueil mythique et historique des traditions d'Irlande, situant le conflit opposant les Dieux & Déesses celtes aux Fomoires pour la domination du monde – et la victoire des Dieux & Déesses, évidemment – 1871 ans avant « l'instant zéro » du calendrier solaire grégorien*.

C'est-à-dire que, selon ce réancrage moderne au rythme des Anciens Druides, le Nouvel An celtique est déjà passé : il eut lieu au crépuscule du 29 Septembre** ! Quant à Samain, ou plutôt les Trinoxtion Samoni (littéralement : Trois Nuits de Samain, donc) elles sont attestées sur le calendrier de Coligny à date mensuelle/journalière immuable, deux jours après la première quinzaine (atenoux), soit donc dix-sept jours après le Nouvel An, qui font cette année : du crépuscule du 16 Octobre au crépuscule du 19 Octobre 2025 <=> du II atenoux (XVII) Samonios au V atenoux (XX) Samonios 3896.

Cette année solaire grégorienne*, Samain commence bel et bien 15 jours avant le 1er Novembre.

Confluence des Mondes

Là où Christian-Joseph Guyonvarc'h et Françoise Le Roux ne se sont pas trompés, c'est dans l'idée de Confluence des Mondes, profane et sacré***, dès la suite de la citation précédente (p. 351) : « C'est la raison pour laquelle cette fête, marquée par des festins, des assemblées et des cérémonies religieuses obligatoires, est le point de rencontre dans le temps et l'espace des hommes et des créatures féériques (sic) de l'Autre Monde. Mais le temps humain est fini, mesurable et mesuré, alors que celui de l'Autre Monde est le présent immuable de l'éternité. »

Samain signifie étymologiquement réunion autant que fin de l'été. Néanmoins, les jours estivaux – qu'on désigne pour samos, été : saison semestrielle claire – débutent après Beltaine six mois plus tôt. C'est ainsi que débutent, avec Samain, les jours de gamos, hiver, conduisant vers Beltaine : saison semestrielle sombre. D'ailleurs, on remarque que ces fêtes ne sont ni solsticiales ni équinoxiales : elles célèbrent des entre-deux – comme, au reste, Imbolc et Lugnasad – encore que les solstices et équinoxes aient très probablement été célébrés aussi****.

L'entre-deux, donc, de notre Monde et de l'Autre Monde, point d'équilibre que les Celtes retrouvaient à travers diverses techniques d'ivresses artistiques, sexuelles et spiritueuses. Les créatures féeriques mentionnées, et nommées comme telles (féeriques) dans les textes irlandais, ne sont pas l'imagier qu'en a fait Walt Disney company, mais bel et bien les Dieux & Déesses et leurs collègues Fomoires déjà évoqués. À quoi on pourrait aussi ajouter ce moment, où les Divinités se partagent le Monde avec les Humains, en décidant d'habiter l'Autre Monde... aussi connu sous le nom de Sidh (Sedon, en gaulois restitué).

Toussaint ? Fête des Morts ? Halloween ?

C'est à ce stade, évidemment, que l'on observe à quel point la date du 1er Novembre est une moyenne, pour une date luni-solaire oscillant de courant Octobre à courant Novembre. Voyons comment on en arrive là :

D'Autre Monde, les chrétiens ne connurent plus que l'Enfer et le Paradis, l'un damné et l'autre sanctifié. Mais les Enfers et les Paradis existaient chez les Anciens Celtes, habités par les Divinités inférieures et les Divinités supérieures, respectivement : source d'émanation des âmes humaines appelées à s'incarner sur terre, et potentiellement se délivrer dans le monde blanc.

Enfers et Paradis celtes ne se superposaient pas exactement à ce que nous en apprennent les triades bardiques, entre l'Annwn (en gallois, Sidh de la mythologie irlandaise) et Gwynfyd (monde blanc de la délivrance spirituelle). Le monde des morts breton, Anaon, a conservé quelque chose de l'Annwn. Mais justement, c'est aussi là qu'on voit la dérive : car l'Annwn/Sidh est un monde merveilleux, et non pas morbide.

Le christianisme est passé par là, à les rendre morbides : il instaure la Toussaint (fête de tous les saints montés aux Cieux, donc morts) au 1er Novembre vers le IXe siècle, suivie de l'instauration de la Fête des Morts au 2 Novembre, deux siècles plus tard. À ce point, remarquons, à rebours, que la période de Samain concordait aussi aux fêtes romaines automnales de Mundus Patet, ayant un rapport avec les morts.

De sorte que Mundus Patet, a probablement été retenue par la mémoire chrétienne, pour l'instauration de la Toussaint et de la Fête des Morts – le rapport à Samain, tient avant tout de la Confluence des Mondes, et de l'amalgame de l'Autre Monde au seul monde des morts (qui n'en sont qu'une partie, concernant le culte des Ancêtres).

Le folklore médiéval fit le reste, jusqu'à Halloween aux USA, où l'on joue à s'effrayer parce qu'on a diabolisé les Vraies Fées de l'Autre Monde (Dieux & Déesses et Fomoires) qu'on a résumé à la tombe. La peur de la mort n'avait plus qu'à faire le reste... et, évidemment, l'industrie du bonbon et du déguisement.

Samain, Samain, Samain

Toussaint, Fête des Morts et Halloween sont de pâles échos de Samain, fête majeure pour les Anciens Celtes, réunissant toutes les contrées autour de leur centre de pouvoir (Tara, pour l'Irlande) certes avec plus d'intensité selon les années, en fonction d'un rythme pluri-annuel difficile à déterminer, mais où – sans surprise celtique – la tri-annualité semble dominer (la triplicité est symbolique, chez les Celtes).

Cette célébration pouvait éventuellement durer jusqu'à six semaines, de ce que les Anciens Rois Celtes redistribuaient ainsi les richesses engrangées, en signe de libéralité et de prospérité. Ceux qui n'y venaient pas, ou qui y pratiquaient le larcin voire le crime, étaient eux-mêmes passibles de mort, sauf amnistie royale : c'est dire l'importance du moment.

Le moment, d'ailleurs, est si important, que les assemblées juridiques et politiques y abondent entre aristocrates, et que l'on profite évidemment de la présence des druides, pour se souvenir des alliances et des pactes, en plus d'éprouver leurs rituels. Mais toute la population se réjouit de la trêve, car – comme durant la féodalité ultérieure – les clans s'affrontaient parfois (et il était même de rigueur, de pratiquer la razzia et autre mercenariat pour faire ses preuves, au courant de la saison claire).

Dans un monde moindrement peuplé que le nôtre (les démographes donnent 200 millions d'âmes sur toute la Terre vers l'an 1871 de la Seconde Bataille de la Plaine des Piliers... pardon : vers l'an 1 du Crucifié... – les mêmes démographes donnent 1 milliards d'âmes en 1800, 10 milliards bientôt : c'est dire qu'on ne rencontrait pas grand-monde, à l'époque, à parcourir l'Europe, encore qu'on sût entretenir les paysages)... bref, dans un monde moindrement peuplé que le nôtre, les clans se répartissaient par les contrées, sans souci pour des menaces extérieures d'envergure (au hasard : Jules César...) en dehors du fait que le ciel leur tombât sur la tête (symbole du tonnerre de Taranis, évidemment, mais aussi de la chute des pierres : habitude intimidante avant la mêlée, dont le Dieu Ogmios était maître d'arme).

Ce que je veux dire, c'est que les Trois Nuits de Samain, après les récoltes, étaient vraiment quelque chose pour l'unité culturelle de ces clans, y compris gaulois – calendrier de Coligny à l'appui – donc probablement entre Celtes ibères, belges, noriques, lépontiques ou galates, en plus des insulaires.

Un moment d'union, d'amitié et de joie, mais aussi de sagesse, d'honneur et de décision.

Et si vous vouliez fêter Samain, aujourd'hui ?

Et pourquoi pas ?... Ce n'est pas compliqué.

Clairsemés par nos contrées, nombre de celtisants folkloriques voire polythéistes, célèbrent dans leur foyer : la fête concorde d'autant plus avec son origine, que les personnes réunies sont nombreuses et/ou qu'elles profitent de ce moment, pour réguler leurs conflits et envisager avec sérieux leurs projets d'avenir.

Des projets, ou un séquençage de projets, jusqu'à la prochaine Samain : dix-sept jours après le début de l'année 3897 de la Seconde Bataille de la Plaine des Piliers qui opposa les Dieux & Déesses aux Fomoires, au crépuscule du 19 Octobre 2026 du Crucifié/calendrier solaire grégorien*. Je rappelle cela, parce que l'événement en question intéressera les polythéistes.

La Samain célèbre tous les Dieux & Déesses, qui participèrent tous à la bataille. Le Dieu roi Nuada – ayant retrouvé son bras mutilé par la magie chirurgicale d'un des fils de Dian Cecht, Dieu médecin – a cédé sa place à la polyvalence du Dieu Lug, et mourra dans la bataille ; le Dieu Lug crèvera l'œil du plus puissant des Fomoires ; la guerre aura été préparée grâce au Dieu druide Eochaid Ollathair – plus connu sous le nom du Dagda – qui fera lui-même nombre de dégâts dans l'affrontement ; son amante, la Déesse guerrière et magicienne Morrigan, abattra des pluies de pierres et de feux sur les ennemis ; Dian Cecht soignera tous les blessés, aussi graves soient-ils, en dehors des morts. Et j'en passe.

Au-delà du folklore, si vous voulez honorer les Dieux, la démarche consiste à dédier un lieu chez vous, comme autel particulier : le dessus d'une cheminée ou d'une commode, une étagère, etc. Au fond, c'est un endroit qui doit sembler joli, et qui peut s'intégrer à une décoration d'intérieur, mais que vous dédiez, et dans lequel vous placez des effigies divines. Contrairement à ce que croient les monothéistes, ce n'est pas de l'idolâtrie : vous ne confondez pas le divin avec sa représentation ; la représentation n'est qu'un support mais, le temps du culte, il devient réceptacle, et vous en prenez de toutes façons soin car l'endroit est dédié.

Pour le dédier, après l'avoir aménagé, il vous suffit de prier les Dieux & Déesses de le dédier, c'est-à-dire de faire une cérémonie de dédicace. Ensuite, vous pouvez célébrer. Et, pour célébrer, tout bonnement, une ou des offrandes alimentaires ne seront pas du luxe. D'autres types d'offrandes sont possibles.

Mais, pour les offrir et sacrifier vraiment, la présence d'une flamme est requise : au mieux, vous les consumez, pourquoi pas dehors, si vous le pouvez. Un peu de piété est un bon point de départ, de la bienveillance, de la méditation dans la démarche. Pourquoi pas un chant d'ouverture et de fermeture ? Selon votre habileté. Mais ce chant devra saluer les Ancêtres, les Dieux locaux (aussi parfois appelés Génies, Esprits ou Petits Peuples) et évidemment les Hauts Dieux (les Dieux & Déesses du panthéon).

Une cérémonie particulière

Je redéroule l'affaire dans l'ordre : un chant d'ouverture, une offrande, une flamme, et voilà que, avant le chant de fermeture, ayant bien disposé les Divinités à votre égard, vous pouvez vous adonner à vos vœux divers – cela vaut pour chaque cérémonie personnelle, et évidemment aussi pour Samain. (À plusieurs, chacun enchaîne les offrandes, et quelqu'un est désigné pour rythmer l'ensemble. Pour les vœux, parfois, n'avoir rien à souhaiter que l'honneur des Divinités, n'est pas plus mal.) Certains préfèrent faire les offrandes à la fin, en apothéose. Puis, un chant de fermeture. C'est là la structure minimale, pour ne rien gâcher dans l'âme. Et si vous craignez de chanter, c'est dommage, mais un poème ou une incantation peut suffire : « Que s'ouvre ce temps sacré ! »

Autre solution : vous dégottez un groupe polythéiste dans les parages, à commencer par les druides contemporains, s'ils s'ouvrent à votre présence, à vous et aux vôtres – ce qui ne devrait pas être impossible, quoi que, comme toute notre époque, il arrive à des druides d'être isolés durant cette période, ou bien à des groupes de préférer les connaissances, de meilleure augure, surtout pour une telle fête : rencontrez-les pour une autre fois, progressivement, que vous vous apprivoisiez...

Je ne sais pas s'il faut de tout pour faire un monde, mais manifestement le monde est fait de tout, alors autant y aller avec respect.

Quoi que vous fassiez, je vous souhaite les Trois Nuits de Samain... que vous méritez ! ... Or, puissiez-vous mériter l'union, l'amitié et la joie, mais aussi la sagesse, l'honneur et la décision.

Aiu Nodenos !
par l'Éon de Nuada

- Segodanios & Belenogenos

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* Calendrier solaire grégorien calé, sur la réputée mort d'un obscur crucifié judéen à 33 ans, entre l'an 27 et l'an 29 de son propre calendrier... et non en l'an 33, âge biblique, puisqu'il serait en fait né entre -6 et -4. Son existence, attestée par quelques sources (et en creux par l'absence de récrimination historique des communautés juives contre l'invention d'un tel personnage) n'est toutefois pas du tout renseignée quant à d'éventuels miracles, pas plus qu'une improbable crucifixion avant la Pâque juive, ni encore moins une résurrection, au matin de ladite Pâque.

** Les Celtes comptaient d'un crépuscule l'autre, durée nommée lation en gaulois attesté. Qui porte le nom scientifique barbare de nycthémère !

*** Les amateurs du Witcher apprécieront l'idée de « conjonction des sphères ». Or, pour ce que ça semble fictionnel et féerique, ça n'en est pourtant pas moins pertinent. Consultez ma recension de la conférence de Stéphane Torquéau sur la magie druidique, sur l'article du Rassemblement Celto-Druidique 2025, pour cela.

**** Toute l'archéoastronomie témoigne de leurs repérages jusqu'à l'Âge du Fer, âge celtique.

Article initialement paru sous NMP