Le Dagda, supposé Dagodeuos, est Daiius

30/06/2024
Statuette de Sucellos; II/IIIe s. è.v., Rhône
Statuette de Sucellos; II/IIIe s. è.v., Rhône

Le Dagda, connu dans les textes irlandais, est le Dieu-Druide, littéralement « le Bon Dieu ». Cela nous conduirait assez loin quant à l'influence celte sur le Dieu exclusif du monothéisme, en dehors de toute confusion [1]. Ce que nous allons esquisser car, manifestement, du YHWH hébreu au Jésus chrétien, quoi que Jésus soit juif d'époque romaine, il y a une accentuation de l'Amour que porte YHWH à son peuple, de sorte qu'il soit nommé Abba, Père... mais cela ne suffit pas, pour expliquer cette Bonté du Dagda, puis donc du Père chrétien en Europe.

— Amour, gloire & bonté... —

L'Amour n'est pas exactement la Bonté.
L'Amour est censé avoir de la Bonté, mais l'Amour peut devenir fou, et s'invertir en Haine : c'est manifeste avec le Dieu biblique.
La Bonté, d'une part, est plus pacifique.
Mais, chez les druides, elle a un sens honorifique dont est dépourvu l'Amour [2].

On peut s'avilir, par Amour : l'Amour est excès, or les Anciens valorisaient la modestie, la mesure, contre l'excès.
L'Amour n'hésite pas à s'avilir... c'est ce qui, selon les chrétiens, fait sa beauté et sa puissance.
Mais il y a une beauté et une puissance, à rester honorable, aussi.

— La Bonté féodale —

La « Paix de Dieu » féodale est une sagesse héritée du Dagda, pas de YHWH car, comme il est écrit dans les Évangiles de Matthieu et Luc :
« Je ne viens pas vous baptiser avec de l'eau, mais le feu. Je ne vous apporte pas la paix, mais l'épée. Je suis venu mettre la division entre l'homme et son père, entre la femme et sa mère. S'ils sont cinq dans une maison, ils se battront deux contre trois et trois contre deux », etc.
Il faut arrêter d'exempter le monothéisme, sur des prétextes symbolistes : judaïsme, christianisme et islamisme sont belliqueux, fanatisants, contre-natures.

— La Bonté antique —

Où l'Antique Druidicat était-il ainsi provocateur, destructeur et bafoueur ?
Les druides antiques pouvaient bien faire la guerre – comme un certain clergé chrétien qui en hériterait attitudinalement – que l'esprit religieux [3] est ailleurs.
Et les Dieux & Déesses patronnaient & matronnaient parfois la guerre, sans excitation.
Ils & Elles la menaient pour l'honneur, dans la conquête et le pillage, comme dans la défense.
Ils & Elles n'excédaient pas les mentalités et, à la fin, comptait la cente [4] – c'est-à-dire la communauté.

— Dagodeuos —

En gaulois reconstitué, on obtient « Dagodeuos » pour dire « Dagda », sur la base de « dago, bon » et « Deuos, Dieu ».
Ce n'est pas très compliqué, et cela s'observe évolutivement, dans le gaélique irlandais féodal « Dag-Da » (en gaélique écossais, en mannois, en gallois, en cornique et en breton féodaux, c'est encore autre chose que « Dagda » – si seulement une telle désignation apparentée existe).

« Dago » appartient plus largement au vocabulaire de la bénévolence, de la bienfaisance, de la bienveillance, de la chaleur humaine : c'est tout à fait heureux.
Où l'on comprend très bien, que le Petit Jésus s'en soit fait un collier, bien que sa démarche soit celle d'un aride ascète, valorisant un Amour éthéré quoi que serviable.

Car le Dagda est serviable, dévoué jusqu'à la naïveté, avec les Fomoires, sous la royauté de Bres.
C'est un Dieu dont la Bonté désigne aussi la Polyvalence.
Il a quelque chose du Petit Jean, dans Robin des Bois, mais Petit Jean en serait une dégénérescence chrétienne féodale...
Être polyvalent, c'est être bon à tout, pas spécialement doué.
(A ne pas confondre avec la polytechnie de Lugh, qui est plutôt du genre à tirer le Dagda d'affaire !...
... par un sens de la révolte dont ne dispose pas le Dagda.)

— La Charité, succédané de la Bonté, son Désir et sa Valeur —

Que le celtisme fût recyclé dans le Bon Dieu version chrétienne, cela l'altéra théologiquement en Charité.
La Charité vient du latin « caritas », qui donne aussi notre « cherté » : la valeur affective que l'on accorde aux autres.
Et a priori c'est sympathique, sinon que ça reste éthéré quoi que serviable : cet Amour n'aime qu'au Nom du Dieu...
... alors que, dans le celtisme, l'amour n'est pas spécialement divin, et peu se passer des Dieux & Déesses, quoi qu'ils en éprouvent entre Elles & Eux, aussi, parfois...
... et – du Désir.

Car il y a plus encore : la racine « dag- » peut aussi renvoyer au feu (quoi qu'il ait d'autres racines) avec « dagis », mais aussi « dagla, flambeau ».
En outre, désignant la Bonté, « dago » réfère aussi au meilleur, à l'excellent : « dagillos »...
... à la compétence : « dagotabatios, qui parle bien » ; « dagotenguatios, beau parleur »...
... à la bonne vie : « dagobiuos », au dévot et au ritualiste : « dagolitus ».
C'est-à-dire que la Bonté du Dagodeuos, enflammée, est une Bonté praticienne, habile.
L'Amour rend aveugle : pas cette Bonté – serait-elle allumée.

— Daiius —

Dans le dictionnaire de celtique ancien de J. Monard dont nous nous inspirons [5] on tombe sur l'entrée « Daiius, divinité masculine » sans précision.
Dans une autre vie [6] j'avais suggéré qu'il s'agissait de l'évolution de « Dagodeuos », sur des bases phonétiques que je maîtrise, ayant été formé en linguistique.

En phonétique, quelque chose comme : /Dagodeuos > Dagjoðeuos > Dagjoðius > Dajius/ [7].
Ceci avait laissé perplexe autour de moi, à raison, du fait que le dictionnaire en question soit spéculatif [5] et que je n'avais que ma suggestion d'évolution phonétique pour moi, tirée de ma mémoire.
Pour autant, dans le Monard, Daiius apparaît comme une fleur, sans paradigme lexical habituel chez lui.
Et en exploitant l'ouvrage de Philippe Jouët [8] je tombe récemment sur le gallois « daioni » pour « bien, bon ».
Pour l'anecdote, les adeptes du gaulois moderne donnent aussi « dai » pour « bien, bon » sur fond de connaissances sérieuses en phonétique historique.

Il ne m'était pas venu à l'idée jusque là, de reprendre le dossier « Daiius », en le confrontant aux langues celtiques ayant survécu jusqu'à nos jours, comme je l'ai fait d'autres mots [9]...

C'est chose accomplie, désormais [10] et l'on peut dire avec plus de certitude, que l'ancêtre gaulois du Dagda se nommait Daiius plutôt que Dagodeuos...
... sachant qu'on le présumait déjà sous le nom de Sucellus (Bon Frappeur) puisqu'il est équipé d'un maillet donnant la vie et la mort, ainsi que d'un chaudron d'abondance...

Segodanios, tiré de Diuiciacos

__________________
[1] Influence celte sur le Dieu exclusif, en dehors de toute confusion : suivre.
[2] La Bonté au sens Ancien : suivre.
[3] L'esprit religieux : suivre.
[4] De CENTLon, apparenté au latin GENS.
[5] Ce dictionnaire est très spéculatif. Mais, primo, c'est la première vraie tentative de reconstitution du gaulois. Secundo, son travail est colossal. Tertio, tous les successeurs améliorés lui doivent discrètement quelque chose. Quarto, on est ingrat à le renvoyer dans ses cages. Et enfin, quinto, on conseillera quand même plutôt le travail de reconstitution en ancien gaulois, de Gérard Poitrenaud y compris sur son groupe Facebook.
[6] C'était l'époque où je fis illustrer par ma compagne et préfaçai, sous mon nom, le Silence des Carnyx (1), une guerre des Gaules de Grégory Chanfreau... en lui injectant toutes mes connaissances éditoriales et antiques, tant dans le glossaire que dans le druidisme – j'en passe, et des meilleures. En toute immodestie, achetez ce livre, il vaut le détour... en effet, sur la base narrative de monsieur Chanfreau, j'eus carte blanche pour étoffer...
... quoi que l'ouvrage ait le gros défaut chauvin, de s'imaginer le Sud-Ouest plus gaulois qu'il ne fut.
En fait son héros, Abellion, porte plus probablement le nom d'un Dieu hellène du vent (ce qui n'est pas piqué des hannetons) et ressort d'un clan ibéro-aquitain/proto-basque.
Pour être bien celte, il eût fallu qu'Abellion fût un prince Volque Tectosage, non pas Convène < *Kombena. Passons, ce serait sans fin, comme pour tout travail de recherche protohistorique évoluant avec son temps.
[8] [supprimé]
[9] Pour la gratitude/reconnaissance : suivre.
[9] Et cela rend relativement valide, le « Daiios » que j'avais injecté là en [6] !
[10] Achetez surtout le Chaudron du Dagda de Valéry Raydon, et plus généralement, consultez les travaux dudit.