Les Druides et la mort chez les Celtes

Le rapport à la mort chez les Celtes est un sujet profond, fascinant et largement documenté par plusieurs auteurs antiques, textes mythologiques irlandais et gallois, ainsi que par l'archéologie.
LES AUTEURS ANTIQUES : UNE VISION EXTÉRIEURE DES CELTES ET DE LA MORT
- DIODORE DE SICILE (Bibliothèque historique, V, 28) « Les Celtes ont une croyance telle en l'immortalité de l'âme que, lorsqu'ils vont à la guerre, ils prêtent de l'argent en disant qu'ils le recouvreront dans l'autre monde. »
- TIMAGENE D'ALEXANDRIE (1er s.) Sur les Rois."(...) Parmi eux les druides, esprits plus élevés, unis selon une règle qui a l'autorité de Pythagore, vivent en commun et sont arrivés à une hauteur d'esprit d'où ils contemplent l'humanité et proclament l'immortalité de l'âme. »
- STRABON (Géographie, IV, 4, 4) Il rapporte que les Druides enseignaient la métempsycose (transmigration des âmes), ce qui les rendait indifférents à la mort : « Les Druides affirment que les âmes des hommes sont immortelles, et que, après un certain nombre d'années, elles passent dans un autre corps. »CESAR (De Bello Gallico, VI, 14) : Il confirme cette doctrine comme centrale dans la pensée druidique : « Ils veulent ainsi, par cette croyance, inspirer le courage, en supprimant la crainte de la mort. »Ces auteurs soulignent l'importance de la transmigration des âmes, idée qui soutient une absence de peur de la mort chez les Celtes, notamment dans leur courage guerrier.
LES TEXTES IRLANDAIS ET GALLOIS : RECITS MYTHIQUES ET CROYANCES
Les mythologies insulaires permettent une approche complémentaire.
- Le Táin Bó Cúailnge (Le Rapt des vaches de Cooley) : Le héros Cúchulainn, à sa mort, reste debout, attaché à un pilier, pour continuer à intimider ses ennemis, montrant une mort héroïque mais aussi initiatique. Son décès est suivi d'une apparition spectrale, ce qui marque la perméabilité entre les mondes.
- Le Mabinogi gallois (notamment le conte de Pwyll) : On y retrouve la notion d'Annwn, l'Autre Monde, un lieu ni infernal ni céleste, mais un royaume parallèle souvent accessible par des brumes, des collines ou des lacs, l'équivalent du sidh irlandais. On y accède après la mort ou parfois en étant « enlevé » dans un état second.
- Le Cath Maige Tuired (La Bataille de Mag Tuired) :Dans ce récit mythologique irlandais, les Dieux (les Tuatha Dé Danann) meurent et renaissent. La mort y est un cycle, une transformation plutôt qu'une fin.Ces récits insistent sur le fait que le monde des vivants et celui des morts se côtoient, et que les héros ou les rois ont souvent un destin surnaturel, lié aux cycles naturels et cosmiques.
L'ARCHÉOLOGIE :LES TOMBES PRINCIÈRES CELTIQUES
Des sépultures comme celle de Vix (France)ou de Hochdorf (Allemagne) montrent un mobilier funéraire très riche : chars, armes, vaisselle, bijoux, parfois même des banquets figés. Cela confirme ce que disent les textes : une croyance forte en une vie après la mort dans laquelle le défunt poursuit une forme d'existence sociale.
- LES OFFRANDES FUNÉRAIRES On trouve souvent des objets personnels, de la nourriture, des animaux sacrifiés, voire des serviteurs, dans les tombes, indiquant une préparation pour un voyage post-mortem.
- LA TOPOGRAPHIE Les tumulus, dolmens ou tertres funéraires celtiques sont souvent construits sur des lieux élevés ou symboliques (collines, carrefours), marquant une interface entre le monde des vivants et celui des morts.
- SAMAIN ET LA MORT Les sources irlandaises : Samain dans les récits mythologiquesLes textes médiévaux irlandais, bien que rédigés par des moines christianisés, conservent des souvenirs puissants des rites et croyances liés à Samain.
Reprenons :
- Le "Tochmarc Emire" (La Courtise d'Émer)Cúchulainn doit attendre un an, jusqu'à Samain, pour prendre Émer comme épouse. Ce délai correspond à un cycle initiatique.
- Le "Táin Bó Cúailnge" (Razzia des vaches de Cooley) Les armées se mobilisent à Samain, moment clé de l'année, où se passent les plus grands évènements, et, de manière inhabituelle, cette guerre va durer une bonne partie de la saison sombre. Mais sur le thème présent, c'est la fin qui est particulièrement significative, quand l'âme de Fergus est évoquée par la « lourde compagnie » pour réapprendre la totalité de la Tain. Ce passage auquel on porte peu d'attention implique pourtant la prolongation de la vie après la mort physique, en pleine conscience.
- Le "Cath Maige Tuired" (La Bataille de Mag Tuired) Les Fomoires (esprits destructeurs du chaos) exigent un tribut annuel à chaque Samain, date à laquelle ils peuvent franchir les frontières de l'Autre Monde pour tourmenter les humains.Samain est un moment où l'Autre Monde devient accessible, avec les Dieux et les esprits.
SAMAIN ET LA RELATION AVEC LES DEFUNTS
Samain était perçue comme une porte ouverte sur l'Autre Monde. On y retrouve plusieurs thèmes :- Apparitions de Divinités et des ancêtres.- Pratiques de divination, pour connaître le futur de l'année à venir.- Offrandes pour apaiser les Divinités et les ancêtres.
Cela explique pourquoi le folklore chrétien a recyclé Samain sous la forme de la Toussaint et de la Fête des morts, et pourquoi Halloween en conserve encore les traits (morts, masques, esprits, citrouilles remplaçant les navets...).
CONCLUSION
hez les Celtes, la mort n'est pas une fin, mais un passage, une transformation. Les auteurs antiques ont fortement insisté sur cette croyance, décrite comme un point important de la doctrine druidique en parlant « d'une vie qui doit revenir ».
Ce faisant, il est aisé, et très certainement légitime, de faire le lien avec la notion de réincarnation, attribuée aux pythagoriciens, de faire le parallèle avec la même doctrine répandue en inde, comme avec la description si précise figurant dans l'Enéide de Virgile. On retrouve des éléments complémentaires dans les fameuses « Triades Bardiques » dans les vicissitudes du cercle d'Abred et dans l'évolution inhérente aux choix de chaque être.
Les textes insulaires montrent une richesse de nuances : l'Autre Monde peut être un paradis, un royaume fantastique, ou un miroir du nôtre. L'archéologie vient confirmer cette croyance en une vie posthume active, souvent honorée avec faste. Cet élément de doctrine parait donc assez assuré pour être, comme dans l'antiquité, un enseignement important de la religion des Celtes.
Belenigenos ac Uindocaruos, tiré de la Religion des Celtes
Source de l'image : https://sciencepress.mnhn.fr/fr/periodiques/anthropozoologica/54/14