Les Druides utilisaient-ils les mégalithes ?
Merci à notre frère Per Vari Kerloc'h pour ce partage et cette splendide conférence.Il est profondément regrettable de voir une croyance qui se voulait droite être dévoyée au profit de son exact opposé : un monde où la parole d'individus exaltés l'emporte sur la vérité, où les déclarations publiques ne sont qu'une vérité déguisée sous le mensonge, où le respect des morts n'a plus sa place, et où la fraternité a été remplacée par des accusations infondées et des trahisons dignes des procès politiques les plus arbitraires, voire staliniens.Pire encore, dans le domaine du savoir, le révisionnisme est devenu monnaie courante : on sélectionne les sources qui arrangent pour les ériger en vérités absolues, tandis que celles qui ne correspondent pas à la pensée dominante sont diabolisées. Une méthode qui rappelle celles des extrémistes catholiques, alors même que ces personnes prétendent les combattre, tout en reproduisant pourtant leurs methodes. C'est ainsi qu'a émergé un druidisme hétérodoxe, en rupture avec l'orthodoxie. Face à cette dérive, les auteurs de la page La Religion des Celtes s'attacheront à mettre en avant les découvertes, ainsi que les sources historiques, archéologiques et scientifiques, dont nous, druides, sommes les héritiers. Nous reconnaissons et respectons la diversité des pratiques, car, comme l'ont montré les récents travaux, la richesse du druidisme réside dans la pluralité de ses tenues, langues, divinités et lieux de culte. Cet héritage doit être un facteur de rassemblement. Tant que les éléments avancés reposent sur des sources vérifiables, nous devons honorer cette diversité, tout en luttant contre les dérives sectaires, le New Age, et ceux qui cherchent à s'approprier ou à travestir la religion, la spiritualité et la philosophie de nos ancêtres en s'autoproclamant seuls détenteurs de la vérité ou en se proclamant pères fondateurs.
Peut-être devrions-nous rappeler que sans les travaux d'Iolo Morganwg, sans la Gorsedd de Galles et sans la Gorsedd De Bretagne Ofisiel, nos groupes n'auraient jamais vu le jour. Merci à vous.

Alors qu'un certain "druidisme orthodoxe" prétend jouer les redresseurs de torts et les donneurs de leçon en matière de bon ton du druidisme, il est utile de rappeler certaines vérités relatives qui font encore débat dans la communauté archéologique. En tout cas, la Gorsedd de Bretagne connaît l'histoire de sa filiation au bout de 233 ans d'existence pour les Gallois, et de 136 pour les Bretons. A une époque qui est celle du Siècle des Lumières, le pittoresque "père fondateur" (sic) du "druidisme orthodoxe" n'était qu'un vague et obscur projet potentiel et hasardeux dans les effusions sûrement passionnées de ses arrières arrières grands parents.
Au passage il nous faut saluer les remarquables recherches du druidisme reconstructionniste ( Page Facebook La Religion des Celtes) qui n'a rien de commun avec la déviance sectaire et fondamentaliste qui a pris le nom somme toute révélateur de "Druidisme orthodoxe"
Le texte qui suit est celui d'une conférence donnée à la médiathèque de Crac'h en 2023.
Gorsedd De Bretagne Ofisiel
Druides et mégalithes : mythe ou réalité ?
Celtes et mégalithes, cette association d'idées est profondément ancrée dans l'imaginaire collectif depuis longtemps. La tradition populaire voit dans les mégalithes un legs de la civilisation des Gaulois parce que les auteurs anciens les mentionnent dans les textes comme antérieurs aux Romains et aux Francs. Les contes et les légendes en font également la demeure de fées ou de korrigans. Nous avons en Ille et Vilaine par exemple le magnifique site de la Roche aux Fées. Et naturellement la bande dessinée s'est emparée du phénomène, le personnage d'Obélix, livreur de menhirs, imprègne durablement notre univers visuel.
Mais il y a parallèlement une tradition savante qui relie les mégalithes à la culture celtique. Ainsi un des premiers antiquaires de Grande Bretagne, un certain John Aubrey (1626–1697) s'intéresse dès 1649 aux sites mégalithiques d'Avebury puis de Stonehenge. Il en publie un plan en 1666 et fait de ces monuments des temples druidiques. A cette époque l'archéologie, qui en est à ses premiers balbutiements, ne suit pas encore vraiment de méthode scientifique. Depuis 1663, John Aubrey est membre d'une société d'études: la Royal Society of London.
Un autre membre de cette Royal Society, William Stukeley (1687 - 1765), publie un ouvrage sur Stonehenge en 1740. Il y développe de nouveau l'idée que les mégalithes sont des temples druidiques et cette fois ci, utilisés pour des sacrifices humains. Ceux-ci sont décrits en particulier par le poète latin Lucain dans un long poème La Pharsale au livre III 399 sq. Par la suite d'autres auteurs latins vont reprendre ce thème dans le but de disqualifier les Druides et les Celtes et justifier ainsi la conquête romaine de leur territoire.
Jean Louis Brunaux, archéologue français, qui a fouillé les temples celtiques de Gournay sur Aronde et de Ribemont sur Ancre dans le Nord de la France, en a tiré quelques conclusions sur l'action des Druides. Il les qualifie de philosophes et de réformateurs. Ils ont en effet agi pour remplacer les sacrifices humains par des sacrifices animaux.
Mais cela n'empêche toujours pas la tradition populaire de voir dans certains mégalithes des pierres du sacrifice, c'est le cas dans le Morbihan à Guénin, à Pont Quil à la Vraie-Croix et à Erdeven où on relève l'Alignement de la Table du Sacrifice en Kerzerho.
En France, l'historien et naturaliste Christophe-Paul de Robien (1698-1756), conseiller puis président au mortier du Parlement de Bretagne est un des premiers à pratiquer des fouilles dans des dolmens. Il met à jour des ossements humains qui sont naturellement interprétés comme des vestiges de sacrifices. En 1752, il rédige un ouvrage intitulé Description historique, topographique et naturelle de l'ancienne Armorique. Vous pourrez retrouver plus de détails sur cet éminent personnage dans l'excellent ouvrage d'Alain Cadudal, Robert Malard et Laurent Picard" Crac'h à travers les âges" qui vient juste de paraître. Car de Robien acquit la seigneurie du Plessis Kaer et épousa sa cousine de Robien Kerambourg de Landaul.
Mais c'est dans le sillage du succès rencontré par la traduction des poèmes ossianiques de l'Écossais James Mac Pherson et leur publication en 1765 que les recherches concernant le passé celtique, vont se développer. La mode du celtisme va atteindre l'Europe entière. Avocat au Parlement de Bretagne, Jacques Le Brigant (1720-1804) va devenir la figure de proue du mouvement celtomane. Il imagine le breton comme langue-mère de toutes les autres. Sa devise est « Celtica negatur, negatur orbis » (« Qui nie la Celtie, nie l'Univers »). Avec Jacques Cambry, il fonde l'Académie celtique le 30 mars 1804.
Jacques Cambry (1749-1807) né à Lorient, d'abord receveur général des États de Bretagne, puis, en 1792, procureur de la commune de Lorient, et en 1794 président du district de Quimperlé, se voit confier par le Finistère, la mission de recenser l'état du département. Il entame alors en 1794-1795 son fameux « Voyage dans le Finistère » dont il écrira un rapport. C'est un observateur curieux, scrupuleux et éclectique; son intérêt va du commerce, à l'agriculture, à l'industrie, à l'état des routes ainsi qu'à l'histoire à la langue, à la musique et à la danse. Il annonce par là les collectes à venir de Hersart de la Villemarqué et de Luzel.
Convaincu de la grandeur des Gaulois, et de leur druides, il veut les réhabiliter. Il n'échappera pas toutefois aux dérives de la celtomanie. Il décrit ainsi plusieurs monuments mégalithiques situés dans le Finistère comme « druidiques » ou « celtiques ». Il leur attribue des fonctions astrologiques, et contribue, lui aussi, à diffuser la théorie selon laquelle les dolmens seraient des autels sur lesquels les druides sacrifiaient des victimes humaines (les ossements retrouvés sur place en témoignant). Parmi les autres celtomanes, on citera Théophile Malo Corret de la Tour d'Auvergne (1743-1800), natif de Carhaix et par ailleurs Premier grenadier de la République, mort au champ d'honneur à Oberhausen en Bavière.
Prosper Mérimée (1803-1870), outre sa carrière littéraire qui le conduira à l'Académie Française, entre, en 1831, dans les cabinets ministériels et devient, en 1834, inspecteur général des Monuments historiques. Il s'attelle en 1850 à un inventaire qui comprend également les pierres dressées et autre cercles de pierres attribués à "nos ancêtres les Gaulois". Critique, il voit dans l'engouement des Celtomanes "un amusement qu'il ne prétend pas troubler".
C'est donc dans un contexte où la relation entre les mégalithes, les Gaulois et les Druides est établie comme une évidence voire comme une certitude que vont apparaître les premiers ordres druidiques modernes au XVIIIème siècle.
Le plus précoce apparaît en 1717 à Londres lors d'une cérémonie sur le site de Primrose Hill. Il fait suite à une réunion à la Taverne du Pommier (The Apple Tree Tavern) à Charles Street à Londres à laquelle participent William Stukeley, dont nous avons déjà parlé précédemment, John Toland un libre-penseur irlandais, Pierre Desmaiseaux, un huguenot français et d'autres personnes comme John Clerk, Maurice Johnson, les frères Gale. etc. Leur activité collective en tant que groupe se limitera à des banquets socratiques avec échanges de points de vue. Ils vont également relancer la Society of Antiquarians.
1781 voit la création de l'Ancient Order of Druids dont l'idéal mutualiste va fonctionner dans la plus grande discrétion.
Le 21 juin 1792, l'ouvrier maçon gallois Edward Williams (1747 - 1826) célèbre une première cérémonie druidique à Londres à Primrose Hill c'est à dire à l'endroit où avait eu lieu la première cérémonie du Druid Order. Il forme un cercle de pierre, de plus petite taille que celles qu'on utilise de nos jours, avec une plus grande au centre qu'on appelle le Maen Llog. Il initie de nouveaux membres comme le docteur Dr William Owen Pughe, Gwallter Mechain, un étudiant d'Oxford, le Docteur David Samwell chirurgien et poète gallois qui avait accompagné le Capitaine James Cook dans ses expéditions sur le Discovery. Personne ne portait encore de saies druidiques, c'est à dire des longues robes, Iolo se contentant de nouer autour du bras des impétrants des rubans blancs, bleus ou verts suivant l'Ordre choisi. Il réédita une autre cérémonie le 22 septembre de la même année. D'autres suivirent à Londres.
En 1814, il va tenir une Gorsedd dans son pays natal du Glamorgan et va utiliser un gros rocher naturel Y Maen Chwyf, the Rocking Stone en anglais c'est à dire la Roche branlante. Autour il va placer d'autres pierres et cette disposition sera adoptée de façon définitive lors des cérémonies suivantes. Naturellement elle se transmettra lors de la fondation de la Gorsedd de Bretagne en 1899.
La Gorsedd de Bretagne utilisera d'abord des sites mégalithiques historiques comme à Carnac (1902), Brignogan (1903), ou Kenac'h Laeron à St Nicolas du Pélem en 1907 avant de construire les siens par la suite. Ainsi en 2021 la Gorsedd a-t-elle réutilisé un ancien cercle construit en 1958 à Mur de Bretagne.
Un des premiers à se montrer critique sur l'association Celtes, Druides, Mégalithes est Prosper Mérimée, comme nous l'avons vu. Il s'interroge sur l'absence de ces monuments dans les descriptions de César ou de Posidonios.
Des fouilles menées dans les dolmens ou au pied des menhirs livrent des mobiliers datés du Néolithique, du Chalcolithique c'est à dire l'âge du cuivre ou de l'Age du Bronze.
Les chercheurs établissent de nouvelles chronologies à l'échelle de l'Europe du Nord achevées vers 1860. Cela aboutit alors à un consensus scientifique assez large qui prévaut encore aujourd'hui: le mégalithisme n'a rien à voir avec les Gaulois de l'Age du Fer. Il est antérieur à l'apparition des Celtes dans la littérature antique. Les monuments ont été érigés plusieurs millénaires avant Vercingétorix et ses contemporains.
Les datations au radiocarbone appliquées dès les années 1960 sur des charbons retrouvés à leur base confirment leur ancienneté.
On admet que les grands menhirs apparaissent dans la péninsule ibérique au milieu du septième millénaire avant notre ère. Ils se diffusent ensuite le long de la façade atlantique. On leur attribue plusieurs rôles: marqueurs territoriaux autant que nécropoles.
Les dolmens ne sont que la structure interne d'un tumulus ou d'un cairn qui les recouvrait à l'origine . Chambres funéraires, ils remonteraient au début du cinquième millénaire.
Les cromlechs, c'est à dire les cercles de pierre, ils pourraient avoir servi d'observatoires astronomiques pour mesurer les cycles agricoles.
Le mégalithisme s'arrête, toutes catégories confondues, avant la fin du troisième millénaire avant notre ère.
Les savants se sont donc appliqués à un long travail de pédagogie pour aller contre les idées reçues, le folklore et la bande dessinée.
Des recherches dans les sanctuaires d'époque gauloise, notamment à Gournay sur Aronde ou Ribemont sur Ancre, ont en outre permis de se faire une idée plus précise de la religion et des pratiques religieuses de l'âge du Fer. Il s'agissait de grands enclos et de temples en bois soit en pleine campagne ou au centre de villes peuplées de plusieurs milliers d'habitants.
Si l'anachronisme et la confusion Néolithique et âge du Fer sont à ranger au registre des affaires classées, cela ne résout pas totalement la question du rapport des mégalithes avec la période celtique quitte à aller à contre courant de la chose maintenant établie.
La question est posée dans un article de Mathieu Poux, archéologue connu pour ses travaux sur les sites gaulois comme Corent dans le Puy de Dôme ou Bibracte, le Mont Beuvray en Saône et Loire. L'article s'intitule « Le Retour des Mégalithes Gaulois ».
En effet les recherches les plus récentes sur l'arrivée des Celtes en Gaule conduisent à la considérer non plus comme la conséquence de vagues migratoires survenues entre le VIIIe et le Ve siècle avant J.-C., mais comme la résultante d'une longue sédimentation démographique et linguistique amorcée dès la préhistoire.
On parle alors de « Proto-Gaulois » qui se définissent comme une communauté de locuteurs de langue celtique s'étendant de la Hongrie à l'Écosse et de la Belgique à l'Andalousie. Ce peuplement de « celtophones » est aussi ancien que celui des locuteurs de langue grecque, latine ou ibérique et semble remonter au moins à l'époque Campaniforme (-2900 à -1900) au troisième millénaire avant notre ère. Certains auteurs vont même jusqu'à reculer cette apparition jusqu'au sixième millénaire.
La question est donc loin d'être tranchée, mais elle suffit à semer le doute.
Les choses se compliquent en outre au vu de certaines fouilles archéologiques récentes.
L'une d'elles a eu lieu il y a quelques années au pied du grand menhir de Beaulieu dans le secteur d'Aulnat-Gandaillat au Sud-Est de Clermont-Ferrand. Il s'agit d'un des plus gros menhirs du Massif Central avec une hauteur imposante de 6 mètres.
Un sondage de vérification a été réalisé en 2008 et a réservé une surprise de taille aux archéologues : sa fosse d'implantation contenait des céramiques gauloises de la fin de l'âge de Fer datant alors sa mise en place au plus tôt au milieu du Ier siècle avant J.-C. Un autre menhir tout proche, dit de la Roche Piquée à Aubières, a été érigé ou réimplanté juste avant l'époque romaine.
Comme le dit Mathieu Poux, cela « ne signifie pas forcément que ces pierres ont été taillées et transportées à une époque aussi tardive. Mais elles revêtaient encore suffisamment d'importance aux yeux des populations de la fin de l'âge du Fer, pour justifier l'effort considérable nécessaire à leur redressement et peut être même à leur déplacement. »
On observe le même phénomène en Provence ou dans la région de Genève à la pointe du bord du Lac Léman, où des menhirs ont été redressés à la même époque.
Certains sites mégalithiques ont continué à être utilisés comme place funéraire jusqu'au Moyen Âge, En Bretagne on a continué à faire des offrandes de monnaies ou de vases dans d'anciens dolmens pillés depuis longtemps.
Des mégalithes ont continué à être honorés comme lieu de fertilité : menhirs contre lesquels des femmes se frottaient le ventre pour avoir des enfants, ou la Kazeg Vaen de Locronan, la jument de pierre sur laquelle des femmes s'allongeaient pour demander à avoir un enfant pour elles-mêmes ou pour une autre, parente ou amie.
Si la plus grande partie des mégalithes n'est certes pas contemporaine des Gaulois de Vercingétorix, la question reste posée concernant leurs ancêtres dont la date d'arrivée en Gaule continue de faire débat.
En tout cas il nous paraît important de terminer par le témoignage d'un auteur latin sur ce que disaient les Druides eux-mêmes sur l'origine des Gaulois qui est loin de contredire les différentes approches des archéologues actuels :
"Selon les antiquités druidiques, la population de la Gaule n'est indigène qu'en partie, et s'est recrutée à diverses reprises par l'incorporation d'insulaires étrangers venus d'au delà les mers , et de peuplades transrhénanes chassées de leurs foyers, soit par les vicissitudes de la guerre, état permanent de ces contrées, soit par les invasions de l'élément fougueux qui gronde sur leurs côtes". Ammien Marcellin : Histoire de Rome, XV, 9, 2-7