Les Eaux et la puissance du rite

Comparaisons !
— Ægir —
Dans le mythe dane (germano-scandinave) Ægir est indécidablement un Géant (le norrois Jǫtunn signifiant à la fois Énorme, Hors Norme, Dévorant) et un Dieu (le norrois Rǫgn - génitif Ragna - signifie à la fois Puissance, Gouverne, Principe) à notre méconnaissance.
Ce Géant-Dieu règne sur les Mers, et organisera un festin annonciateur du Ragnarǫkr, car il est notamment brasseur de bière. C'est-à-dire qu'il nourrira l'avènement du Ragnarǫkr, qu'il en sera l'impétuosité : le courant, la sève, la force agissante.
J'ai commencé par l'Hyperborée, pour redescendre vers la Méditerranée :
— Liros et son fils Manandos —
Dans le mythe celte dont je perpétue essentiellement la mémoire, c'est Lir (Eire) ou Llyr (Galles) ou Liros (gaulois reconstitué) qui est Dieu des Mers. Ce mythe n'a pas de Géants, mais divers Alter-Dieux tels que les Fir Bolgs ou les Fomoires.
Tout comme entre Géants et Dieux danes, les Alter-Dieux et les Dieux celtes ont des relations d'alliances, de parentés et de guerres. Mais ce sont tous les Fomoires, qui sont réputés être issus des Abysses Marins, et à ce titre le Dieu Lir – et son fils Manannán (Eire), Manawydan (Galles), Manandos (en gaulois reconstitué) – règne désormais sur eux.
Lir est réputé avoir une parenté fomoire d'ailleurs, tandis que les Fomoires sont réputés être conduits par Elatha (Eire) ou Elatios (gaulois reconstitué) : un être indécidablement fomoire et divin (puisqu'il est le père de Dieux essentiels) comme Ægir était indécidablement géant et divin. Liros et Elatios se confondent fonctionnellement.
Mais le mythe celte distingue Liros de la préparation des festins (notamment de la bière, puisque c'est le Dieu celte forgeron Gobannos, qui la brasse) contrairement au mythe dane, et le mythe celte semble dépourvu de Ragnarǫkr, puisqu'à ce qu'on sait, il cesse lorsque les Dieux se partagent le monde avec les Hommes (à eux les sidhe ou seidoi, aux Hommes les terres ou litauis).
De plus, Liros est connu pour ses conquêtes féminines, puisqu'il a plusieurs compagnes, qui parfois jalousent des enfants qu'il aime particulièrement au point de les chérir et les sauver des vengeresses, sans leur attenter néanmoins.
Enfin tout ceci associe Liros à l'impétuosité, le courant, la sève, la force agissante... et d'autant plus qu'il assoie son pouvoir sur les Fomoires, vaincus par les Dieux lors de la Seconde Bataille de Mag Tured, ainsi que malgré ses compagnes vengeresses.
Toujours chez mes Celtes chéris, à sauver des limbes des Temps et des confusions fantaisistes modernes : le fils de Liros, Manandos, reprend à son compte les prérogatives de son père génétique.
Néanmoins, il ne participe pas à la politique des Tuatha Dé Danann (Eire), Toutai Deuas Danunas (en gaulois reconstitué).
Ce qui importe le plus, est que Manandos est fils adoptif de Dagda (Eire), Dagodeuos (en gaulois reconstitué).
En effet, cette filiation adoptive associe Manandos au feu sacré de Dagodeuos, le Dieu-Druide. Sa flamme vient singulièrement des Mers, d'autant plus que Manandos conduit vers le Sidh (Eire), l'Annwn (Galles) ou Seidos (gaulois reconstitué). Manandos a donc de l'impétuosité, comme le dane Ægir et son père génétique celte Liros.
Mais retenez aussi autre chose : de conduire au Sidh, assimile Manandos au védique Varuna – nous sommes dans le monde indo-européen, évidemment – Varuna, Dieu céleste régnant sur les Eaux Primordiales. Il y a là un point d'interrogation rejoignant les Mers et les Cieux, que nous allons résoudre en nous penchant sur Neptunus et Poséidon sur-le-champ.
— Neptunus, avec un détour par la fée Mélusine —
Neptunus est un Dieu romain original, qui exista bien avant son assimilation à Poséidon, comme d'autres Dieux tels que Saturnus évoqué sur cette page. Neptunus provient probablement du Dieu rasennan (tyrrhénien, étrusque) Nethuns.
Indécidablement, son nom signifie « l'Humide, le Nuageux » depuis le rasennan, ou bien « le Petit-Fils, le Neveu » depuis le latin, ce qui en fait un « Descendant des Eaux » comme l'indo-iranien Apam Napat – nous restons dans le monde indo-européen, évidemment.
Au départ, Neptunus est un Dieu des Eaux continentales, c'est-à-dire des sources, des cascades, des lacs, des fontaines, des rivières : c'est son association à Poséidon, qui lui fera prendre le large... et lui procurera de nombreuses amours. Mais, en tant qu'il est continental, Neptunus préside aussi aux tremblements de terre, et singulièrement aux chevaux.
Voilà qui est particulièrement intéressant, car le celte Liros, en plus d'avoir eu de nombreuses amours comme on l'a dit, a eu pour compagne Rhiannon (Galles) c'est-à-dire Rigana (en gaulois) : la Grande Reine chevaline, la fameuse Epona. Or Neptunus-Poséidon permet de contrôler l'impétuosité des chevaux.
Mais ce n'est pas tout puisque Neptunus, en tant qu'il est rattaché aux Eaux continentales et aux tremblements de terre, a fatalement l'impétuosité de générer des cataclysmes. D'ailleurs Poséidon, Dieu rancunier, suscite un certain nombre de monstres dont seuls les héros viennent à bout.
Et déjà Ægir et Liros, avaient une dimension monstrueuse (géante ou fomoire)...
Je songe alors à la fée Mélusine, légende féodale : c'était ce que l'on pourrait appeler « une sirène continentale », que l'ésotérisme rattache volontiers aux nappes phréatiques voire aux champs telluriques. Or Neptunus, en s'éloignant des Eaux continentales pour prendre le large sous l'influence de l'Hellène Poséidon, est remplacé par des ondines (naïades hellènes) : des créatures de l'eau, desquelles semble découler la fée Mélusine : une femme à la queue de serpent, monstrueuse donc, qui a de l'impétuosité.
Je ne sais pas s'il faut l'associer aux épouses de Liros mais, quoi qu'il en soit, elle en a aussi la trempe, et la dimension terrestre du cheval qui fait tonner la terre, fait écho.
— De Poséidon à El, la conjonction indo-européenne et afro-asiatique —
Penchons-nous sur le Neptunus hellène, Poséidon... Sa racine signifie Seigneur, Maître, Époux, voire Seigneur de l'Eau, ou Seigneur Qui S'Étend.
Là où les choses deviennent intéressantes, c'est qu'il est en contact avec le monde oriental ancien, notamment phénicien, où Seigneur, Maître, Époux se dit Ba'al, avec -'al pour El, c'est-à-dire le Puissant, l'Élevé. Le mythe hellène a été influencé par l'Ancien Orient, on le retrouve dans le nom d'autres Dieux & Déesses (Adonis vient du phénicien Adon ; Athéna potentiellement de la phénicienne Tanit et de l'égyptienne Neith ; Arès potentiellement du phénicien Erra ; etc.).
Or, comme El, Poséidon peut être symbolisé par... le taureau. Un animal terrestre, symbole de puissance par sa musculature et d'élévation par ses cornes. Par El, il est même le Dieu des Dieux... Celui qui deviendra le Dieu Elohim, après le biblique sacrifice du Veau d'Or, et que l'on entend toujours dans Allah.
C'est notamment à Cnossos, en Crête, que le taureau fut adoré, et on le retrouve toujours dans le monde ibérique, sa tauromachie et autres courses & voltiges taurines, jusqu'en Aquitaine-Occitanie de la Gascogne à la Camargue (le monde ibère fut phénico-hellène, et monta au-dessus des Pyrénées).
Au reste, dans l'Europe pré-européenne, les animaux à sabots étaient catégorisés dans la même famille animale, et le taureau rejoint le cheval.
— Même « Dieu », surtout hélas lui... —
C'est très intéressant, parce que ça conjoint les puissances de la mer et de la terre, avec une impétuosité particulière, en même temps que le monde indo-européen et le monde afro-asiatique.
Cela permet même de dire que « Dieu » (le Dieu exclusif des monothéistes, prétendu seul et unique) a une intime relation avec les Monstres-Dieux des Mers (au hasard, Léviathan) le diable étant son ombre projetée... Ce qui n'étonnera personne, étant donné sa nature terrible, réduite à elle-même dans le monothéisme, sans plus de contre-pouvoirs. Or le monde afro-asiatique, par exemple en Égypte antique, pose un Océan Primordial nommé Nwn.
Encore dans la Bible, « au commencement », « Dieu » sépare « les Eaux d'en haut des Eaux d'en bas », c'est-à-dire les Cieux et les Mers, qui sont frères chez les Helléno-Romains : Zeus et Poséidon, Jupiter et Neptunus. Et rappelez-vous Varuna, Dieu des Cieux régnant sur les Eaux Primordiales dans le védisme : il y a au Proche-Orient, une confluence.
Ainsi, à mesure qu'on pénètre les terres indo-européennes, de la Méditerranée à l'Hyperborée, cette fraternité se perd. Elle semble presque perdue chez les Danes, et pourtant elle conserve son impétuosité, et c'est bien Ægir qui organise le festin des Dieux annonciateur d'un cataclysme engageant même les Dieux célestes : Thor, Dieu du tonnerre, meurt durant le Ragnarǫkr, sous les coups du serpent Jörmungandr, ayant lui-même un lien avec les Mers puisqu'il les contient en enserrant Midgard (la serpentine fée Mélusine, repointe le bout de sa queue).
Tout se passe comme si un Feu dans l'Eau... un courant, une sève, une force agissante, se déployait – jusqu'au Dieu exclusif lui-même, au prisme de Poséidon télescopé à El, avec la Chypre pour point de symétrie centrale : les Cieux et les Mers semblent les miroirs d'une seule et même chose, symbolisée par l'Océan Primordial égyptien du Nwn, ensuite divisé en Eaux supérieures et inférieures, dans le monde afro-asiatique.
— L'Impétuosité initiale : ṛta ou ma'at —
Quelle est donc cette force fondamentale de l'impétuosité, qui se manifeste dans les trois ordres (Céleste, Terrestre et Maritime) à travers les Eaux, pour ainsi dire depuis les origines ?...
Eh bien, dans le monde indo-européen, on en retrouve des traces dans le védisme. Il s'agit de ṛta, qui donne le moderne Rite.
Ṛta désigne une force spirituelle originaire qui ordonne le monde et en est la justice : l'ordonnancement du rite est là pour la symboliser.
Chez les Anciens Égyptiens, bien que la ma'at ne soit pas décrite pour une force, pas plus qu'à l'origine, il se trouve qu'elle ordonne le monde et en est la justice...
Pas étonnant, que le Dieu exclusif se soit alors arrogé sa prérogative. Mais, esseulé sans contre-pouvoir, le Dieu exclusif est un Dieu devenu atroce jusqu'à l'impétuosité du fanatisme, et impose sa ṛta ou sa ma'at déséquilibrées.
— Les Eaux et la puissance du rite —
Là où les choses sont équilibrées dans le polythéisme, il appert qu'en Ancien Europe (en Europe d'avant l'Europe, et encore plus : d'avant l'Union Européenne...) les Divinités aquatiques injectent l'impétuosité d'ordonner le monde, quittes à paraître chaotiques. Il faut se soumettre à leur Nature.
Dans le monde celte, c'est évident à travers la figure de Manandos qui relie la Litauis (la Terre) au Seidos (Monde des Dieux), mais surtout à travers Liros-Elatios, qui commande aux abyssaux destructeurs Fomoires.
Cette fonction d'ordonnancement a disparu au Nord avec Ægir, comme au Sud avec Neptunus-Poséidon, quoi qu'Ægir et Neptunus-Poséidon le révèle ombrageusement, par leur pouvoir de nuisance : entourant les Terres, ils sont des Gardiens à ne pas troubler.
Des Garants de l'Ordre, qu'on révère tout en se méfiant de leurs potentiels désordres, et justement pour prévenir leurs potentiels désordres, en satisfaisant le ṛta – le rite.
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Source de l'image : photo d'une statue de Manannán Mac Lir à Limavady, au Nord de l'Ulster.
Segodanios, tiré de Diuiciacos