Taranis, le Dieu triple (?)

09/06/2025

Quoi ?! Un Dieu triple ??
N'avait-on pas déjà... une Déesse triple ???

Et inventer un Dieu triple, n'est-ce pas antiféministe ?!
Ne faut-il pas faire de Morrigan [0] une exclusivité ?!?

Pourtant...
... pourtant, la plausibilité d'un tel Dieu, vient justement de ce qu'il est potentiel père de la Triple Déesse, Morrigan.

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UNE LECTURE À TRIPLE FOND

Un des hauts rois d'Irlande, partie des Tuatha dé Danann (des Dieux) se nomme Delbáeth : « Celui à la forme éclatante, la Figure de feu ».

Dans le Lebor Gabála Érenn, il succède à son grand-père le Dagda, à la royauté.
Son autre nom est Tuireann, « le Tonnant ».

Oui, Taranis en Gaule.

Delbáeth-Tuireann a deux fois trois enfants :
Les frères Uair (plus connu sous le nom de Brian), Iuchar, Iucharba – « le Haut », « le Jeune » et « le Second Jeune ».
Les sœurs Banba, Fódla, Ériu - « la Femme », « la Fertile » et encore « la Fertile » (Ériu, nom de l'Irlande-même).
Or donc, on lui donne aussi la Morrigan pour fille, Déesse Triple.

Autant vous dire qu'il est cerné par les triplicités !
(Et que ce roi est gâté par la Vie.)

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CHEZ LES ROMAINS ET LES DANES AUTOUR DES CELTES

Chez Lucain, un auteur romain, ce Dieu (Taranis) est mentionné avec Teutates et Esus.
Chez Pline, seuls Teutates et Esus sont mentionnés ensemble, mais c'est un bon début.

Car on a Þórr, chez les Danes [1]...
... or Þórr cumule les fonctions de Taranis, Teutates et Esus.

En effet, Þórr est Foudre (Taranis)
Protecteur du peuple (c'est le sens de Teutates, « Père du Clan »)
et Pourvoyeur (c'est un sens potentiel d'Esus, « Le Bon », comparé à Sylvanus par les Romains, Dieu civilisateur entre nature et culture).

Avec toutes les triplicités autour de Delbáeth-Tuireann
(trois fils, trois filles, une fille exceptionnellement triple)
il ne serait pas étonnant de trouver que leur père est lui-même triple, chez les Gaulois ⚡️⚡️⚡️

Car on a une triple fonctionnalité :
La Sacralité tonnante,
La Défense du peuple,
et le Pourvoi producteur.

Comme une figure synthétique, structurante, essentielle :
un « triplex deus » dont chaque aspect répond aux anciens besoins des sociétés indo-européennes, et dont les incarnations divergentes dans le monde romain, germanique ou celtique ne sont que les facettes d'une même puissance originelle.
(Nulle autre que l'ancien Dieu *Dyeus indo-européen, Père lumineux –
– dans d'autres traditions, Perkunas, Perun, Parjanya.)

Cette puissance accède à la royauté, dans le Lebor.
Or chez les Celtes : être roi, c'est d'abord faire le tour.
Tour du territoire, tour du sacré, tour du monde connu, poseur de frontière (Esus-Sylvanus).
Circumambulatio, comme disaient les Romains initiés aux mystères.
Sur les inscriptions, Taranis est Dieu du feu sacré, Dieu du cercle, Dieu de la roue 🟠 
(Presque une procession divine.)

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ARCHAÏQUE MARS-JUPITER

Mais voilà que ce tour nous ramène à Mars [2].
Non pas Mars le belliqueux réduit à l'iconographie impériale ;
Mais un Mars archaïque.

Avant d'être casqué et cuirassé, Mars domine le printemps, le passage, la fertilité guerrière.
Dans la Roma quadrata des origines, Mars veillait sur l'ager (agricole), les frontières, les travaux.
Divinité souveraine.
Non pas Jupiter, mais son frère.
Son double terrien.
Le garant de la Pax Deorum (Paix des Dieux) sur le sol natal.
Et parfois plus.

Parfois le Dieu suprême, dans le ciel celtique.
Valéry Raydon dit de Taranis, Jupiter gaulois, qu'il n'est pas simplement le Ciel qui Tonne, mais qu'il est la souveraineté céleste accomplie.
Majesté cosmique ?

On songe à Þórr, dont le char gronde à travers les nuages.
À Teutates, bien sûr, le populaire — celui qui parle au peuple et veille sur ses moissons, ses travaux, son offrande. 
À Esus, avec sa hache tranchante et son arbre abattu – silvain arraché à la forêt, pour devenir l'allié des frontières cultivées.
Tout converge.

Ce qui peut rendre fou, c'est que le Dieu triple celte finit par ressembler plus à un Mars archaïque, dans son extension fonctionnelle, qu'à un seul Jupiter.
Mais l'interpretatio romana ne serait pas à une approximation près.

Ce Mars est un Jupiter archaïque, Jupiter souverain, Jupiter Lapis, Jupiter ordonnateur des pactes.
Bref : le Jupiter primitif.

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UN DIEU CELTE

Sa spécificité celte reste la démultiplication par trois.
Et peut-être son détrônement [3].

Ou plutôt, son trône temporaire, ou moins important que – au hasard – l'Habileté et la Révolte de Lug[us], ou encore le Service et la Sapience du Dagda/Sucellos...
... et avant tout, la Reconnaissance et la Vaillance de Nuada/Cernunnos [4].

C'est le signe d'une translation culturelle, d'un Devenir-Autre :
Admirateur des Savoirs, des Arts & Métiers, au point d'élever les très-connaisseurs aux fonctions suprêmes : les Druides.

La grandeur celte valorise d'autres qualités que la Puissance brute.

Segodanios, pour Diuiciacos


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[0] Morrigan, la Déesse triple : suivre.
[1] Danes : les Germano-Scandinaves, désignés depuis leur contrée matrice des Anciens Danois, ainsi que par un nom féodal des vikings, assimilés aux Danois.
[2] Aspects religieux de la Rome archaïque comparables aux Celtes, âge d'or saturnien des Romains.
[3] Et si le mythe celte était romain (façon de parler) ?
[4] Nuada/Cernunnos : suivre.

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Source de l'image : coucher de soleil orageux