Primitivisme et essentialisme : deux purismes non-druidiques

02/06/2024

C'est très curieux 😮 Dans le celtisme, disons « néopaïen [1] » se sont dégagées deux tendances non-historiques. Elles ne sont pas historiques, parce que le celtisme antique et féodal, ne nous en a laissé aucune trace.

  1. Il s'agit, d'un côté du primitivisme...
  2. ... et de l'autre, de l'essentialisme.

Car

  1. le primitivisme cherche à retrouver une spiritualité « primitive », « sauvage », « naturelle », qui prend spontanément une tournure « écologique » désormais.
  2. L'essentialisme cherche à retrouver une spiritualité « essentielle », « de l'essentiel » voire de « l'essentialité »... qui d'ailleurs rejoint régulièrement le primitivisme, et qui, en tout cas, n'est pas pour le contredire.

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Dans l'Histoire, les druides furent une élite aristocrate, politisée et sanctuarisée.
La figure de Merlin, féodale, est déjà une marginalisation du druidicat, c'est-à-dire une diminution du statut et de la dignité druidiques.
De même, la figure du barde, elle aussi féodale, fait partie de la marginalisation du druidicat, car les bardes antiques étaient égaux aux druides – tout comme, d'ailleurs, les vates (« ovates » est une erreur moderne)...
Parce qu'en cette époque sans médias, les médias étaient les bardes ! Leur pouvoir druidique était donc immense, qui faisait et défaisait les honneurs et les réputations héroïques – quant au vate : c'était un druide spécialisé dans le soin et la divination (les druides sans spécification s'adonnant à la connaissance).

Mais tous pouvaient présider au culte, et il est possible que d'autres noms de spécifications druidiques aient été oubliés. Dans d'autres contextes, on connaît le gutuater (l'invocateur) et le semnothée (le révérend).

Bien que l'image du druide ait été associée à la forêt [2] – à cause de la cueillette du gui, mais aussi à cause de la notion de "bosquet" – il se trouve que les bois sacrés étaient aménagés [3], que les dates étaient fixées [4] et surtout que la théologie (science divine) était élaborée [5]. Il n'est pas possible, de faire de la cyclicité saisonnière quelque chose de détachée de l'éternité méditée [6].
Nous savons de source archéologique sûre et certaine, que les druides disposaient aussi de sanctuaires, au sein de leurs dunoi (sing. dunon) plus connus sous le nom romain d'oppida (sing. oppidum) : c'est-à-dire des cités (citadelles) aussi ! [7]

Par ailleurs, le monde était, si vous me passez l'expression, « naturellement plus naturel » : l'imagination se laissait aller quant aux animaux, aux plantes, aux éléments, mais la vie humaine était bien située dans la civilisation, et le sauvage fascinait autant qu'on le redoutait, jusqu'au divin.

Tout ceci démontre, que le primitivisme se trompe.
Que le primitivisme, est en fait une aspiration romantique et néo-romantique, aujourd'hui (encore qu'il y ait eu des lieux de cultes plus sauvages).
Que même l'assimilation du druidisme au shamanisme, est fautive.

Enfin le néodruidisme primitiviste romantique, néo-romantique et néo-shamaniste, est tout à fait compréhensible, étant données les circonstances...
… car il est antimoderne.
Populaire, il institue une rébellion poétique.
L'essentiel, c'est de s'en sentir amélioré, moralement.
Il y a vraiment cela : un genre « d'auto-mélioration » (self-improvement), de « meilleureté » (betterness) en cette éthique à aspiration spirituelle non plus celtique, ni même néo-celtique, mais post-celtique ! 😃

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L'essentiel, c'était de s'en sentir amélioré, moralement.
Cela rejoint l'essentialisme.
Les essentialistes intellectualisent un peu plus la chose.
Ils parlent parfois de « quête d'essentialité », « druidité », c'est-à-dire, en fait, quand on analyse le lexique, « d'essence de l'essence », mais aussi « de caractère essentiel », ainsi que de « substance du druide ».
« Substance » ou « essence », au sens philosophique, reviennent pour ainsi dire au même, en latin.
Les deux termes sont dérivés du grec « ousia ».

Il s'agit de ce qui « se tient » (« stance ») « sous » (« sub ») la chose. De son « être-même » (« esse, ousia »).
Non de son apparence, ni même seulement de sa présence... mais bien de sa « nature cachée ».
De quoi invoquer Isis et ses voiles, si Isis n'était pas égyptienne [9] !

Enfin voilà : il y a donc là-dedans, une histoire de voiles.
C'est comme un jeu, voyez-vous, les voiles.
Les voiles flottent au vent, ils font des joliesses, des volutes, des figures ! On se laisse fasciner par les voiles. Séduire, charmer, enrôler, ils ont une emprise sur nous.

Mais l'essentialité, l'essence de l'essence, existe-elle, que nous parlions de la chercher ? Ou bien n'est-elle qu'un voile de plus ?
On peut facilement se donner des airs de « profondité [10] » dès qu'il s'agit de choses aussi importantes !
L'essence de l'essence n'est-elle pas... l'essence ? N'invente-t-on pas un triple-fond en parlant d'essentialité, après le double-fond de l'essence au-delà des apparences ?
Ou bien l'essentialité, l'essence de l'essence, est-elle une métaphore ou un symbole, pour quelque chose qui dépasse même l'essence ?

Et pourtant, ce n'était que l'essentiel, que nous cherchions, à la base ! C'est-à-dire l'essence, juste l'essence. Quel abyme !
Et que dire alors, d'une druidité ? d'une substance du druide ? Le druide n'est-il pas un Homme, comme tout le monde [11] ?
Le titre de druide a-t-il une essence autonome ? Peut-on accéder, platoniciennement, à une forme du titre druidique éternelle ?
Avouons que c'est assez curieux, pour ne pas dire loufoque ! 😉

Parler du sens de la vie, rimant (en français) avec essence, est sûrement poétique.
Traiter de tels sujets, permet certainement de s'en sentir amélioré, moralement.
Il y a vraiment cela : un genre « d'auto-mélioration » (self-improvement), de « meilleureté » (betterness) en cette éthique à aspiration spirituelle pas spécialement celtique (puisqu'elle est platonicienne, hellénique, à notre connaissance) ni même néo-celtique, mais circum-celtique !

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Quel voyage, les Amis ! 😮
On peut dire que l'essentialisme est un primitivisme intellectuel (à chercher le stade primitif de toutes choses), et que le primitivisme est un essentialisme existentiel (à chercher l'essentiel de toute vie)


Primitivistes et essentialistes, désirent une vie épurée, une vie plus pure.
Ce sont des puristes !

Aussi les mettrai-je en garde contre ce purisme, purisme qui, souvent est, à tort, reproché aux reconstructionnistes druidiques.

Au contraire ! les reconstructionnistes travaillent dans la boue archéo/historique, et toutes ses lacunes en termes d'héritage.
C'est « impuriste » ! 😅

Mais les puristes, primitivistes et essentialistes, ont l'impatience de croire et faire croire résoudre, sur-le-champ, à travers leur pureté, le druidisme... alors qu'ils ont pris le large vers d'autres rivages.
Ils s'imaginent vivre dans « l'éternalisme d'Avalon » ! à ne pas confondre, ni avec l'éternité, ni avec Avalon !
Ces puristes ont une dimension paradisiaque tout à fait plaisante, mais le paradis n'est pas un monde celtique, même quand on le célébrerait au milieu des mégalithes !
Ni le Jardin d'Eden primitiviste, ni le Divin Souverain essentialiste, ne sont celtiques [13].
Malgré toute ma DUOLCATOS [8] pour les autres aspirations spirituelles (primitivistes, essentialistes ou autres) on ne peut pas honorablement les dire celtiques. 😞
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[1] Sur le celtisme « néopaïen » : [https://www.facebook.com/diuiciacos.divitiac/posts/122173037612068264]
[2] Sur le druidisme jusqu'à nos jours : [https://www.facebook.com/diuiciacos.divitiac/posts/122166852350068264]
[3] Sur l'aménagement des bois sacrés : [https://www.facebook.com/diuiciacos.divitiac/posts/122160757982068264]
[4] Sur quelques dates : [https://www.facebook.com/diuiciacos.divitiac/posts/122163583496068264]
[5] Par exemples : [https://www.facebook.com/diuiciacos.divitiac/posts/122167008626068264] et [https://www.facebook.com/diuiciacos.divitiac/posts/122168774138068264]
[6] Sur la saisonnalité et l'éternité : [https://www.facebook.com/diuiciacos.divitiac/posts/122160701624068264]
[7] Par exemples : [https://www.facebook.com/photo/?fbid=538855752848704&set=a.538855749515371] et [https://www.facebook.com/polytheismeceltique/posts/779834384175843]
[8] A propos de DUOLCOS et de DUOLCATOS (reconnaissance/gratitude) : [https://www.facebook.com/diuiciacos.divitiac/posts/122172298544068264]
[9] Dans le domaine celtique, permettez-moi de suggérer Cernunnos en sa médiation, plutôt, dépassant le stade de l'illusion. Ou bien, Taranis et ses éclairs de génie. Ou bien encore, surtout, naturellement, Brigantia et son éveil...
Préférez-là donc à Isis l'Egyptienne !... du moins, si rien ne justifie un héritage égyptien par chez vous ! qui d'ailleurs, bien souvent, est passé par l'Empire Romain.
[10] Sur la « profondité » : [https://www.youtube.com/watch?v=PiIS-E37goA&list=PLceYkF8JBqYRSX5delfymBsy3BddpyW1L&index=21&ab_channel=LaTroncheenBiais]
[11] « Quand je parle des Hommes, disait Victor Hugo, j'embrasse toutes les femmes. »
[12] Sur « l'éternalisme d'Avalon » : [https://mobile.agoravox.fr/culture-loisirs/mode-tendances/article/nos-mondes-neo-liberaux-des-249991]
[13] Au moins jusqu'à preuve du contraire. Mais les mélanges celto-chrétiens datent des derniers siècles, où d'aucuns prétendaient que le druidisme était monothéiste, et toujours de nos jours même des chercheurs au CNRS tels que Jean-Louis Brunaux... c'est affligeant.
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Source de l'image : affiche du film Avalon de Mamuro Oshii, sélection officielle du festival de Cannes 2001, dont je conseille vivement le visionnage.

Segodanios, tiré de Diuiciacos